Aurélien Dony

 

C’est jour de triste

Pourquoi se le cacher

Chacun sous son manteau

Les yeux au bord des larmes

Le coeur lourd

D’avoir à te compter

Au nombre des départs

 

C’est jour de triste

On cherche dans la poche

Quelque chose à serrer

Dans le ventre

A reprendre son souffle

Et serrés derrière toi

A ne pas se dissoudre

 

C’est jour de triste, oui

Mais comment défaillir

Nous qui portons ce jour

Le chagrin des amis

Reclus dans les maisons

Les larmes des copains

Que nous versons pour eux

 

A nous ce jour de triste

D’en faire une chanson

D’orchestrer nos sanglots

En un chant d’amitié

En un hymne d’amour

De déchirer pour toi

Le voile du silence

 

Jour de triste

Paraît-il

Une vieille rumeur

Nous chantons crescendo

Pour que ton nom résonne

En chaque note éclose

Aux partitions du jour

Béatrice Libert : « Ce matin-là »

Ce matin-là

Il se fit un grand silence

Dans la maison et alentours

Ta mort avait éteint la rue

Les rêves et les oiseaux

 

Ceux que tu laissais

Soudainement

Se sont sentis perdus

Perdus de solitude

Et de chagrin

 

Pourtant

Tu ne les avais pas abandonnés

Tu avais simplement pris

Une allée de traverse

Alors qu’au jardin

Les magnolias

Dansaient pour toi

 

Tout ce que tu fus

Tout ce que tu fis

Sont devenus semences

Pour les heures à venir

 

Et cet amour

Qu’en nous tu versas

Le voici devenu cet humus

Dont nous faisons

À présent

Religieusement

Ta sépulture

 

Pour que rien

Ni gestes

Ni paroles

Ni sourires

Ne soit perdu

À jamais

 

© Béatrice Libert, 30 mars 2020

Serge Meurant

Dans l’ignorance
de ce qu’il vécut
tu prononces les mots
d’adieu et tu trembles
de ne pouvoir témoigner

Francesco Pittau 

 

Tu es là

le matin dans la lumière blonde

de la véranda dans la pénombre

du couloir encore frais

des ombres de la nuit

qui fut courte

qui fut longue aussi

 

Le bruit des couverts dans le tiroir qui

coince un peu

le petit bruit de la tasse

l’odeur du pain le cliquetis du couteau

sur le bord de l’assiette à fleurs bleues

et le silence de ta voix

 

Tu n’es plus dans l’âpreté de l’hiver

tu n’es plus dans la splendeur du printemps

tu n’es plus dans le soleil de l’été

je marche dans les rousseurs de l’automne

avec ton rire enfoncé dans ma poche

comme un animal chaleureux

Carino Bucciarelli  : « Mars 2020 »

Nous étions attablés

autour d’une table trop grande

des hommes des femmes éparpillés dans les années

qui nous séparaient

les chaises vides marquant les heures et les espaces

 

Personne ne prenait la parole

elle était devenue inutile

les regards suffisaient pour partager

ce qui restait à partager

 

Que restait-il ?

la mort d’une proche

la mort d’un lointain

 

Et cela faisait beaucoup

autour de la table où les mains

ne pouvaient plus se toucher

où les lèvres se tenaient loin des visages

Lucien Noullez

Qui pousse dans le dos ?

Je ne retrouve plus mes clés.

 

Qui donc a mis des larmes dans mes poches ?

Je ne retrouve plus le fil.

 

Je ne couds rien : ni la colère,

ni tout ce qui pourrait prier.

 

Des grelots me secouent.

Je voudrais t’appeler,

 

mais je fouille en vain nos maisons.

Mon téléphone est dans la nuit.

 

Qui pousse dans le dos ?

Qui me vide de toi ?

Eric Brogniet : « Rose noire »

 

La rose ouvre la rose
En son mêler intime
Car le blanc et le noir
En leur chemin

Sont complémentaires
Et dessinent la voie du vide parfait
Où chacune déplie l’autre
En son pétale

 

Entre l’aube et sa rosée qui pleure
En ce crépuscule où luit la voie lactée
Et l’opalescence
Où l’infini prend source

La rose est dans la rose
Et la rose est illimitée
En chaque frisson qui l’éblouit
Sous cette lumière qu’on appelle la vie

 

Qui es-tu, rose en ce mois de mai
Resplendissant de toutes tes blancheurs
Jeunes pétales en avalanche
Sous des ciels encore changeants

Cœur serré qui veut éclore
Et se dénouer
Au toucher d’un cœur complémentaire

Que la brise légère en son toucher
Agite sur sa tige
Et qui surgit des pierres
Bordant un chemin qui n’existe pas ?

Qui es-tu, rose en ce mois de mai
Sinon l’éclair entr’aperçu
Et sitôt disparu ?

 

Le jour est lumineux comme une source
Et c’est blancheur partout aux branches
Où la rose à peine éclose se ressource

Mais pourquoi donc tremble-t-elle
Jusqu’en son cœur
D’un froid tout à coup assassin

Quel fragile bonheur
Faut-il donc en cet instant
Tuer

Dans le cristal figé
Où neige encor
La promesse d’un éternel été ?

Rose noire
Rose de personne
Puisqu’avançant la main
En cet air sombre

Nulle trace n’est à demeure
Et qu’écrire est la trace
D’une trace perdue

Et que la rose n’est pas l’image
De la rose ou du monde
Ou du ciel ou de la terre

Mais la présence de ce qui s’efface
Et brûle le monde
Et le ciel, la terre et la rose elle-même…

Hubert Antoine « Réservez-moi un rêve »

Pas un élan

Recouvert de peinture

 

Sinon un peu d’embrun

Dans le souffle à l’oreille

Et le ciel griffé d’ailes

 

Réservez-moi un rêve

Muet obscurément

Echappé de vous machinal

 

Comme une blessure soudaine

 

Un rêve pour après la mort

Qui me révélerait

Devant la porte de ma maison

 

***

 

La douleur ne dit rien

Mais fait dire

 

Es-tu dans le geste des mots

Qui te sont adressés ?

 

On ne sait d’où le souffle vient

Ni le lieu de l’union

De l’haleine et du vent