En hommage à Émile Verhaeren

 

Cher Emile
nous sommes près de toi
ce matin du 7 juin
Saint-Amand
100 ans après ton grand départ
au bord de ton tombeau
les enfants derrière les Nadar
agitent leurs drapeaux
le soleil échauffe nos ardeurs
nous attendons le roi la reine
aux rives de l’Escaut
de ton village natal
Emile
de toi que reste-t-il ?
Un géant à ton style
longue moustache costume velours
les villageois te portent
vacillant comme flamme
au milieu de la foule
un bourgmestre un gouverneur
le roi la reine arrivent
cuivres fanfare rouge l’Escaut toujours
Emile Emile
monsieur nachtegaal
récite les heures du soir
et ton amour pour Marthe
marque nos coeurs encore
tous sont là gens de Roisin
qui veillent sur le temps
que tu passas là-bas
l’échevin le bourgmestre
de Honnelles où tu fus
le fou des bo qui parle aux arbres
et le grand livre d’or
pour honorer ce jour
discours et petits fours
et quand tes vers clamés
ardents un chant puissant
au micro matinal
fendent l’air
coquelicots rouges sang
terre du pays oiseau au ciel
tout vibre tout vibre
à l’Escaut du printemps
où repose ton corps
qui voyagea en mort
de Rouen
à Adinkerke à Wulveringem
jusqu’ici Sint-Amands
on parle du temps on parle de tes voyages
on parle de tes vers qui nous bouleversent tant
de tes amis poètes Zweig Maeterlinck
Gide Gevers et Rilke
on parle de toi Emile
Avec Michaël de la letterenhuis
on arpente le Dam
où passent les pauvres âmes
du monde en tes poèmes
tu offres ton manteau
on parle de toi Emile
de Saint-Cloud à Ostende
dans la fièvre des foins
tu marches Emile tu marches encore
le roi la reine et tous les musiciens
font un cortège que James Ensor
a déjà peint tandis que Rik
l’autre géant de Saint-Amand
avec toute la royale suite
visite ta vie d’européen
ta petite-nièce Marthe
93 ans
-ta douce Marthe fut sa marraineserre
la main aux souverains
au bout d’un jardin vert
s’épanche le grand fleuve
qui baignait ta dépouille
quand le tombeau était
comme barque amarrée
le passeur roseau entre les dents
aurait pu l’emprunter
dit Marc Quaghebeur qui le regrette un peu
Emile en poussières
majestueux l’Escaut fend
en deux notre pays
de Tournai à Anvers
deux lions en drapeaux
rugissent sous le soleil
et résonnent tes mots
« Escaut ! Escaut (…)
Et ce sera toujours et chaque fois
Par toi
Que le pays foulé, gémissant et pantois
Redressera sa force et voudra vivre et vivre ! »
Salut à toi, ô grand poète !
Escaut,
Sauvage et bel Escaut,
Tout l’incendie
De ma jeunesse endurante et brandie,
Tu l’as épanoui :
Aussi,
Le jour que m’abattra le sort,
C’est dans ton sol, c’’est sur tes bords,
Qu’on cachera mon corps,
Pour te sentir, même à travers la mort, encore !
(…)
Escaut ! Escaut !
Tu es le geste clair
Que la patrie entière
Pour gagner l’infini
fait vers la mer.
Tous les canaux de Flandre et toutes ses rivières
Aboutissent, ainsi que des veines d’ardeur,
Jusqu’à ton coeur.
Tu es l’ample auxiliaire et la force féconde
D’un peuple ardu, farouche et violent,
Qui veut tailler sa part dans la splendeur du monde.
Tes bords puissants et gras, ton cours profond et lent
Sont l’image de sa ténacité vivace,
L’homme d’ici, sa famille, sa race,
Ses tristesses, ses volontés, ses voeux
Se retrouvent en tes aspects silencieux.
Cieux tragiques, cieux exaltés, cieux monotones,
Escaut d’hiver, Escaut d’été, Escaut d’automne,
Tout notre être changeant se reconnaît en toi;
Vainqueurs, tu nous soutiens; vaincus, tu nous délivres,
Et ce sera toujours et chaque fois
Par toi
Que le pays foulé, gémissant et pantois,
Redressera sa force et voudra vivre et vivre !