Gioia Kayaga : « Au personnel soignant »

Ils.elles ne sont pas devenu.e.s des héros ou des héroïnes,

à travers cette crise, ils n’accomplissent pas soudain leur destin :

Ils sont exactement tels qu’ils étaient avant le Covid :

quand leur sort touchait bien moins leurs contemporains.

 

Ils.elles ne sont pas devenu.e.s des héros ou des héroïnes,

mais la faillite est collective : juste un fin mur mitoyen

entre l’échec écrasant des politiques

et le triste aveuglement des citoyens.

 

Ils.elles ne sont pas devenu.e.s des héros ou des héroïnes,

mais ils restent victimes du manque de moyens,

parfois même victimes de certains comportements hostiles,

alors qu’on leur confie nos vies et celles de nos doyens.

 

Ils.elles ne sont pas devenu.e.s des héros ou des héroïnes,

ce sont des femmes et des hommes avec un chemin,

avec une vocation : soigner les autres, jour et nuit,

soigner les corps qu’on met entre leurs mains,

 

Alors moi, plutôt que de leur dire « merci », aujourd’hui,

je préférerais leur dire qu’on sera là, demain,

pour qu’ils ne sacrifient plus leur propre santé morale, physique,

pour se faire l’écho de leurs cris, de leurs alarmes, de leurs besoins.

 

On sera là en tant que proches, voisins, amis, famille ;

on sera là, à notre tour aux petits soins, attentifs,

on sera là pour les pétitions, les élections, les manifs,

pour porter les revendications, être des soutiens actifs.

 

On sera là, pas pour applaudir mais pour résister,

avec des mots, des films, des articles, de la musique.

On sera là, unis, refusant qu’on fasse encore rimer

« restrictions budgétaires » avec « santé publique ».

 

Si vous voulez les appeler « héros » ou « héroïnes »

alors soyez-en dignes et devenez-en un, vous aussi,

car il n’y aura de place ni pour l’indifférence ni pour l’égoïsme

quand ça sera à nous  de sauver ceux qui sauvent nos vies.

 

 

Je dédie ce poème à tous les soignants  qui accomplissent l’immuable rituel de ceux qui veillent sur la vie, chaque jour, partout dans le monde, telles des sentinelles,

de ceux qui opèrent à ceux apaisent, de ceux qui nettoient à ceux qui prescrivent les remèdes, de ceux conduisent les ambulances à ceux qui effectuent les tests, je dédie ce poème à chaque maillon de la chaîne.

Je le dédie aussi à ma belle-sœur, infirmière, Florence, que j’aime tant et que je vois – toujours masquée et à plus d’1m50- mener la bataille avec force et persévérance,

cette bataille, elle ne la mène pas depuis un mois, mais depuis des années, il faut le dire dans une – plutôt- générale indifférence,

la détresse du personnel soignant, le stress, l’épuisement, la surcharge de travail, les conséquences sur leur santé sont bien trop souvent passés sous silence.

Je suis convaincue qu’un hôpital ne sert qu’à soigner les gens, les aider à guérir, apaiser leur souffrance, pas à suivre des logiques austères de rentabilité, de productivité, de croissance.

Alors, quand viendra l’heure des bilans, je nous souhaite, à tous, d’ouvrir nos yeux, nos oreilles et nos cœurs bien grands et de prendre nos responsabilités, tous ensemble, pour une métamorphose, collective et résiliente.