Lisette Lombé : « Cher J. »

Cher J.,

Il y en a du monde autour de toi, aujourd’hui !

D’abord tous ceux et toutes celles que tu viens de rejoindre et qui t’attendaient, bras ouverts, sur l’autre rive. Et puis, tous ceux et toutes celles qui restent de ce côté-ci, endeuillés, comme ta fille A.

Quel contraste entre la douceur de ces retrouvailles là-bas et la douleur de ta perte, ici !

Quel contraste entre la chaleur de ces bras-là et les distances insupportables imposées aux vivants depuis quelques semaines !

C’est pourtant la même tablée, la même tribu, la même respiration familiale, les mêmes racines…

Que les plus jeunes qui se demandent combien de fois un homme peut tomber et se relever dans une même vie, pensent très fort à toi !

Que les plus jeunes qui se demandent combien d’enfants et de petits-enfants un homme peut perdre sans devenir un mort-vivant, pensent très fort à toi !

Que les plus jeunes qui se demandent combien de temps un homme peut survivre à une épouse ayant quitté ce plan-ci de l’existence, pensent très fort à toi aussi!

Qu’ils gardent en mémoire l’amoureux de la terre, le fils d’agriculteur, l’arpenteur de petits et grands chemins.

Qu’ils gardent en mémoire le patriarche, le phare pour ses neufs enfants, le courageux ouvrier agricole, le J. B. debout et robuste.

Qu’ils effacent les 87 ans, qu’ils effacent les murs de la maison de repos, qu’ils effacent le mot confinement !

Qu’ils se convainquent que l’on peut jardiner sans jardin !

Qu’ils se convainquent que l’on ne meurt jamais seul lorsque nos proches sont les hôtes les plus précieux de notre cœur !

Et qu’ils murmurent en choeur « merci, merci » avec la même sincérité que toi, J., lorsque tu répétais « merci, merci ».