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Le onzième poème de Mustafa Kör

Bibliophile

 

Ce sont des promesses que tu espères décrocher

sous abri comme ruches bourdonnantes

Un coup d’œil a suffi il t’en fallait plus

pour vivre

 

Zigzaguant, longeant les échines, tu cueilles
aux rayons bien gorgés ci et là quelques fruits

Chaque fois que tu en touches un, corps et âme

tout s’illumine

 

Sous l’emprise d’une grande clarté tu chasses

depuis en territoire conquis. Le butin escompté,

feuilles d’or et lucidité

 

Sous cette charpente reposent d’éternelles merveilles

à portée de main, comme des bonbons. Cela, tu l’as senti

d’emblée. Depuis les jupes maternelles

tu as levé les yeux et ton Big-Bang s’est accompli

 

Mustafa Kör

Traduction : Danielle Losman, avec Katelijne De Vuyst et Pierre Geron

Le dixième poème de Mustafa Kör

Seul

 

une mer d’acier nous séparait

échoué d’un autre bord

sur ce rivage hostile je vous ai trouvé

 

les vagues vous lavent, préparent la levée du corps

vous délivrent en votre grande solitude

 

la solitude appartient au créateur

est-ce pour ça que j’incline la tête et exhume

des prières pour votre passage

 

si l’on vous oublie, je me demande

une telle mort, sera-t-elle notre destin

ou aurons-nous miséricorde

 

votre dernier soupir

la houle qui m’a porté vers vous

 

à peine ai-je frôlé votre rivage que

je rejoignais la tempête qui n’apportait plus rien

que des vers tardifs dans le silence que vous nous laissiez

 

Mustafa Kör

Traduction : Danielle Losman, avec Katelijne De Vuyst et Pierre Geron

Le neuvième poème de Mustafa Kör

Bon vent

 

Ce n’est pas un adieu

C’est-à-dire pour qui aime

Avec son corps

 

Mustafa Kör
Traduction : Pierre Geron

Le huitième poème de Mustafa Kör

Grands enfants

Tu te réveilles et tu vois un monde déchiré
Aussitôt tu deviens une grande personne
Qui doit retenir ses larmes pour des parents

 

Tu veux bercer la terre la rendormir
Dire que tout s’arrangera
Comme le promettaient les affiches sur tes murs

 

L’enfance c’était attendre et subir
Mais aujourd’hui tu as le premier choix
Dans la sélection d’un avenir

 

Tiré du bac à balles que je t’ai apporté
Pour qu’un moment encore tu restes un simple enfant
Inventeur du rire généreux

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le septième poème de Mustafa Kör

tuessibellesibelle oh tu es si belle tu es la plus bellet
u as des yeux à s’y perdre de si beaux yeux je nai ja
mais ils brillent de mille feux et tes lèvres leur mervei
lleuseforme sublime roseprofond lèvreslumineuses v
raiment uniques qui invitent aux baisers et tes mains
et tes doigts dieu comme tracés au pinceau gracieux
et fuselés comme des vignes au soleil àsaluer avecr
évérence ton rire désarmant rire éclatant qui chasse
les soucis et invite à rester près detoi àte rejoindrese
montrergénéreux commetoi latendre laplustendredou
ce et bellebellepersonne adorée depuistoujours jet
aime

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le sixième poème de Mustafa Kör

Sans gêne

 

Je suis un étrange enfant qui

échoué des quatre coins du monde

parle l’abc du shaman

 

Frontière ni drapeau ne me sont étrangers

je connais les confins de Matin et Soir

où j’arrive s’ouvrent des yeux et des oreilles

 

Je castagne des sévillanes débite des mots sur scène

et chante des refrains que tu veux comprendre

quand tu te décides à vraiment les écouter

 

Mais mon accent mi ! là. si. da. nee, frère

a déplacé l’ ان شاء الله d’autant de bornes

qu’il pouvait bâillonner de bouches radoteuses

 

Bah, je ne suis qu’un étrange enfant

doté d’un étrange langage que je dois gesticuler et

signer en panaches de fumée pour être entendu

 

On m’a appris que chaque langue est un humain

et plus tu parles de langues

plus tu deviens un humain

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le cinquième poème de Mustafa Kör

Le dernier Noir

 

Il faut du courage pour encore être un arbre

Même toi tu l’admettras

 

Ton destin a beau être devenu bourgeonnant chagrin

Tu caresses encore l’espoir d’une éclosion ancestrale

 

Le chant du cygne des noirs

Seul avec mon ombre qui s’allonge et s’amenuise

où jadis se réfugia un monde

de légionnaires et de jeunes vandales

 

Quel sera votre sort

entre montagnes de béton

sans oiseau ni loup

 

Je suis un vieil arbre

dont les jours sont comptés

Je tremble encore un instant

 

Avant de partir

je sème à tout vent mon courage

telle une prière sur la verte terre de Dieu

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le quatrième poème de Mustafa Kör

Femmes de la mine

 

Elles ont cédé aux puits

les plus profonds

leurs maris et leurs fils

 

Fouiller au cœur de l’obscurité

où gisent de préhistoriques colosses

Y descendre, c’est une chose

en ressortir sain et sauf, c’est autre chose

 

Appel ou chant des sirènes

Quelque chose les a ensorcelés

L’or de la terre reposerait là enclavé

dans la pierre et l’infinie poussière

Ils y taillaient leur pain noir pour finir

toussant saignant s’effritant

 

Mais un cœur de femme le sait bien

Pour celles qui ont donné la vie

rien n’est pire que d’attendre

 

Dans le monde ouvrier on accouche

des héros du pain quotidien car quelqu’un

doit braver l’obscurité et le danger

 

Entre des mains et des poumons meurtris

ils ramènent chez eux leur lumière

pour en inonder la table où l’on mange

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le troisième poème de Mustafa Kör, traduit en anglais

Cold Feet

 

Farewell

This is a sad goodbye

After all, a traveller needs to be on the road

Safe and sound

To and from

Loved ones

A buzzing city

 

Fare. Well.

Onwards. Whereto?

This is no journey, at least not for my kind

Spastic, idiot, senile

 

You take the hurdles as they come

What about your cold feet? And unwillingness?

 

The daily pilgrimage by rail or road

Rampant arbitrariness where gentlemen don’ t get up

but kneel down orderly

 

The anguish of day-trippers

The journey of the blind and lame

 

I will no longer fear anything

if everyone becomes disgruntled with how we treat

the needy and the stagnation in waiting rooms and stations

 

Agile or limping

Why depart if we’re going to get stranded anyway?

Stranded. Beached. Silting up

We can do it all in the ankle-deep

We want the sea

 

Traduction en anglais: Astrid Alben

Le troisième poème de Mustafa Kör

Peur du passage

 

Au revoir
Ceci est un adieu d’amertume
Un voyageur est bien obligé d’être en chemin
Sain et sauf
Allant et venant entre
Bien aimés
Une ville bourdonnante


Bonne. Route
Bon vent. Vers où ?
Ceci n’est pas un voyage, pas pour mon espèce
Spastique, mongole, sénile


Les obstacles, on les franchit lorsqu’ils se présentent
Qu’en est-il des dos d’âne ? Et des pieds de plomb ?


La quête quotidienne sur les rails et l’asphalte
Arbitraire rageur face auquel nul seigneur ne se lève
mais s’incline comme il se doit


Le calvaire du voyageur d’un jour
L’itinéraire des paralytiques et des aveugles


Je ne craindrai plus rien
si tout le monde s’énerve de notre attitude vis-à-vis
des infirmes et les arrêts dans les salles d’attente et les gares


Valides ou estropiés
Pourquoi partir, si d’office, nous nous échouerons ?
S’échouer. Se planter. S’enliser
Suffit de quelques pouces d’eau
Nous voulons la mer

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron