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Thibaut Creppe : « L’autre côté du soir »

 

On ne peut dire adieu

Sans refuser d’y croire

Et confier au brouillard

Ceux-là qu’on aimait tant

 

Je voudrais ralentir

Le dernier au revoir

Trouver à l’injustice

Qui vient sans prévenir

Quelques vices de forme

 

Je voudrais être là

Où tu souris toujours

Et où la mort n’est rien

Qu’une perte de temps

 

Puisque à présent le jour

Finit, je me demande

À quoi peut ressembler

L’autre côté du soir

 

On ne peut dire adieu

Sans refuser d’y croire

Marie-Clotilde Roose

à Liliane Wouters

 

Est-ce que Tu nous attends ?  

 

Nous, qui croyons tant de choses

lourdes comme ces brindilles

que portent les fourmis

 

nous agitons nos minuscules

mains d’enfants.  Chargées

qui de drapeaux, qui de jouets

prodiguant cendre ou mort

 

– quand ce n’est pas le blé

des moissons et des oeuvres.

 

Nous n’avons entrevu

de ciel qu’aux premières souffrances.

 

C’est la douleur sensible

qui a mû en questions

le système des larmes.

 

De là, toutes nos tentatives

pour Te saisir, ou T’oublier

en l’espace déserté.

 

Mais, hors de notre temps

(insonore intervalle)

que peuvent nos mains, nos

bagages d’insectes ?

 

Est-ce que Tu nous entends ?

Maud Joiret

Nous avons

dit aux heures

tendres de nous

entourer de chaleur

et elles nous ont entendu.e.s

 

Nous avons

cherché la part

de secret cachée

dans les boîtes

à musique de l’enfance

nous la cherchons encore

 

Des matins

bleus

des nuits

tranquilles

au seuil de ce qui

toujours

commence

nous avons donné

au silence

sa feuille de route

un poème troué

de rires et de fureur

car il n’est jamais certain

que nous ne changions d’avis

sur la couleur de nos désirs

sur un coup de tête

– une main tendue

au hasard

est un baiser

aux étoiles

 

Nous avons

touché

le coeur du temps

– en partage

tu y déposes ton empreinte

nous te suivons

les yeux ouverts

les bras serrés

sur ton passage

 

si les heures

décident

de nous rendre

un peu de ta tendresse

à la lisière de nos vies

au creux du mystère

elles nous disent déjà

nous ne perdons

ni ton nom

ni ta trace.

Anne Versailles

 

Ce matin, j’ai changé l’eau des fleurs.

J’ai ouvert grand la fenêtre.

J’ai coupé le chauffage.

Dehors, le forsythia est en fleurs.

La corneille a presque fini son nid.

 

Ce matin, devant la fenêtre, je suis restée.

A regarder la rue.

A regarder la rue vide.

Seule la corneille…

Puis un avion est passé.

 

Cet après-midi.

Ce soir.

Demain.

C’est long.

Tu n’es pas là.

 

J’ai tant de choses encore à te dire.

T’ai-je parlé de la corneille ?

Des fleurs sur le balcon ?

De la couleur de ton blouson ?

Du rouge gorge de cet hiver ?

Et de cette gorgée de bière ?

De ce livre à peine ouvert ?

De ce film revu encore et encore ?

De cette nuit, de cette aurore ?

De cet ami retrouvé ?

Des pommes de terre que j’ai semées ?

De ces chaussures que j’ai vues ?

De cette dame croisée en rue ?

De ce pépin, de ce tracas ?

De cette bruine qui n’en finit pas ?

T’ai-je parlé de tout cela ?

J’ai tant de choses encore à te dire.

 

Cet après-midi.

Ce soir.

Demain.

C’est long.

Alors, viens.

Viens avec moi.

Nous irons marcher.

Nous irons par les chemins.

Ton bras à mon bras si léger.

Je te dirai

le ciel fardé pour te retrouver,

les arbres déçus de n’avoir pu te rencontrer,

ce chant écrit pour toi par tous les oiseaux du quartier,

la tendresse lue sur les lèvres des amis éloignés,

l’étreinte de nos mains empêchées,

le vent qui ne parle que de toi,

l’absence qui déjà creuse son terrier.

Je te dirai tes bras et tu me serreras.

Esta mañana, les cambié el agua a las flores.

Abrí la ventana de par en par.

Apagué la calefacción.

Afuera, la forsitia está en flor.

La corneja casi ha terminado su nido.

 

Esta mañana, frente a la ventana, me detuve.

A mirar la calle.

A mirar la calle vacía.

Solo la corneja…

Luego pasó un avión.

 

Esta tarde.

Esta noche.

Mañana.

Se hace largo.

Tú no estás.

 

Tengo aún tantas cosas que decirte.

¿Te hablé de la corneja?

¿De las flores en el balcón?

¿Del color de tu cazadora?

¿Del petirrojo de este invierno?

¿Y de aquel trago de cerveza?

¿De ese libro casi sin abrir?

¿De esa película vista una y otra vez?

¿De aquella noche, de aquella aurora?

¿De aquel amigo recuperado?

¿De las patatas que sembré?

¿De esos zapatos que vi?

¿De aquella mujer que me crucé por la calle?

¿De aquel lío, de aquella preocupación?

¿De este calabobos que no se acaba nunca?

¿Te hablé de todo esto?

Tengo aún tantas cosas que decirte.

 

Esta tarde.

Esta noche.

Mañana.

Se hace largo.

Así que ven.

Ven conmigo.

Saldremos a caminar.

Saldremos a los caminos.

Tu brazo prendido de mi brazo, liviano.

Te hablaré

del cielo arrebolado para encontrarte,

de los árboles chafados por no haberte encontrado,

de este canto escrito para ti por todas las aves del barrio,

de la ternura leída en los labios de los amigos lejanos,

del apretón de nuestras manos frustradas,

del viento que habla solo de ti,

de la ausencia que cava ya su madriguera.

Te hablaré de tus brazos y tú me abrazarás.

 

Traducido por Regina López Muñoz

 

Tom Nisse : « Prière »

Nôtre cette époque sans égards envers
la terre qui maintenant en récupère tant

des nôtres chers saturée est notre terre
par tant d’êtres et par leur dernière chair

en cette saison d’un printemps ascendant
dans l’air résistent les modulations fières

du retour des oiseaux autour des maisons
dans les arbres des cimetières accentuant

cette saison vouée à tant de disparus chers
et pourtant nous la protégerons notre terre

dans le deuil dans la colère car il est temps
de se souvenir de l’avenir en voici la prière.

Jean-Louis Crousse

In memoriam

 

Dors mon âme            dors

et ne crains

Tombe l’entrave

Cèdent les liens

La nuit

s’achève          Le jour

Survient

Jean Loubry

Puisque…

 

Puisque pas de mains

Au front de qui part

 

Puisque pas de signe

Pour affronter l’adieu

 

Puisque chacun seul

Face à la mort qui vient

 

Que le drap soit caresse

Par les mots du poème

 

Que le vent soit paroles

Portées par qui les pensent

 

Que le chant chante loin

Par sa musique absente

Le portement des corps

Dans un écrin d’amour

Paul Mathieu

Assis au seuil du seul dans la nuit qui s’allonge à pas de renard & à pas de loutre avec son champ désormais en friche & l’établi désert voilà le marcheur qui s’en va retrouver quoi ?

À la sortie du chemin où il a avancé comme il a pu le vacarme du désir sourd encore au creux des puits dans l’obscurité soudaine où l’on entend cahin-caha murmurer son histoire

Éblouis par l’hésitation permanente du soleil on invente alors déployées dans le vent & dans le vert quelques herbes tremblantes ramenées de toutes les prairies de rencontre

Comme dans un songe on dit « Nous sommes » & l’on affirme avoir été pour garder un peu de lumière au-delà de l’horizon malgré la pluie qui vient & qui est venue

Deux ou trois frêles phrases de funambule qui s’élancent vacillantes au-dessus du vide & qui portent l’humanité sur leur maigre poitrine

Manza

Il y a ceux qui partent trop tôt

Ceux qu’on regrette trop tard

Emportés par les maux

À leur chevet,

ma plume leur dépose des bouquets

de mots,

des échos

De nos chœurs d’amour

Des absences amères

Des allées sans retour

La maladie joue des tours

La mort s’empare de nos nuits

Elle nous confine aux confins de l’ennui

À nos disparus

Partis sans dire aurevoirs

Trop tard pour les pleurer

Des bruits de trépas dans le couloir

Des photos qui collent à nos mémoires

De traces de souvenirs dans le miroir

Des ailes d’ange les ont portés vers un autre part

De là où on ne revient pas

De là où quand quelqu’un y va

Les proches n’en reviennent pas

De ce vide qu’il laissera…

Le corona a pris des milliers de vie

Mais la solidarité, jamais ne plie

Pour les défunts, l’enfant prie

Le personnel soignant veille sans répit

Tandis que le poète écrit

Des lignes de soutien à toutes les familles

Pour que jamais, on ne les oublie

Pour que jamais, on perd l’espoir de vue

Ce qui tue, nous rendra que plus vivants

Plus bienveillants, soucieux des vrais engagements

Unis pour se souvenir, pour se sourire

Pour se soutenir

Planter nos coeurs et nos pensées comme des drapeaux de beaux soupirs

Brandir l’amour à nos absents

Qui nous manqueront éternellement

La vérité dans le regard des enfants

Nos petits mots, des petits pansements

On se retrouvera, une question de temps,

on est juste de simples passants…

 

Manza 199

Philippe Leuckx : « Prières, poèmes »

1

Tu pars sans nous

en ce printemps si froid

tes yeux n’ont pas eu

le temps de revoir

les roses de humer

dans les soirs

le parfum les lilas

Tu traverseras le pont

et nous serons là

à t’attendre

avec l’amour qui rend

l’absence moins redoutée

Tu pars vers l’inconnu

de nos vies

 

 

2

Il y a le ciel

au-dessus des parterres

et nos mains

qui rameutent

ces sanglots et ces peurs

tu n’es pas seul(e)

tu viens à nous

quand le souvenir

bat le rappel

des offrandes

que furent tes jours

tout aura été si vite

et le coeur a du mal

à retrouver son port.