Le 23 mars, Mustafa Kör est devenu notre nouveau Poète National. Il succède à Carl Norac pour les deux années à venir. La cérémonie d’investiture a eu lieu au Jardin Botanique de Meise. Découvrez dans cette vidéo quelques images de cette belle journée !
vers vous
levez la tête hors de cette heure sombre
bientôt notre voie sera libre et notre pas à nouveau léger
entretemps nous parcourons des lieux où nous revigorent
des pains épargnés d’autres bouches
à présent nous allons nous
offrir des mots sans les posséder
des mots vifs lestes qui nous
des pensées aérées éclairées qui vous
font ployer pour ouvrir avec des vers
encore plus droits plus baroques les coeurs
les pièces et les frontières où nous rêvassons jusqu’au moment où
le mortel se décompose et allant
vers vous adopte une voix lavée
levez la tête
monarques et suiveurs ne pèsent pas lourd
nous sommes déjà la terre vers laquelle nous partons
nous saurons domestiquer aussi cette nouvelle vie
car nous sommes des paysans patients
qui se récoltent sillon après sillon
Mustafa Kör
Traduction: Pierre Geron en collaboration avec Katelijne De Vuyst et Danielle Losman
LE GOÛT DE TRAVERSER
à Caroline Pauwels et Marie-Hélène Caroff
Sur le fleuve, sur les canaux, nous n’avons
nulle autre frontière que la brume.
Devant, il n’y a que des ponts
qui relient ces gens que l’on voit
traverser et dont certains parfois,
étrangement à nos yeux,
rêvent seulement de murs.
Bien sûr, voilà l’écluse, cet ascenseur
au vieux refrain qui suinte,
où les oiseaux jacassent,
le temps de regarder un paysage
moins mouvant, de célébrer
le crépuscule ou le point du jour
qui, aujourd’hui, se rêve en virgule.
« Nulle frontière ! », nous sommes-nous
répétés sur la péniche, « Pas même de la langue ».
Car, soudain, on vous hèle de la rive,
on comprend ou on ne comprend pas,
sinon que le geste se ressemble,
simple principe de la main ouverte
au lointain le plus proche.
Si des régions existent à bon droit
et que les cartes qui nous guident
nous le rappellent, nous vivons
également ici, voyageuses, voyageurs,
dans cette volupté de la lenteur
où nous aimons les traverser
aussi libres que la ligne d’eau
et sans écouter les leçons de tous bords.
Sur le fleuve, sur les canaux,
nous n’aurons encore
nulle autre frontière que la brume.
Le mercredi 1er septembre prochain, à 18h, la Maison de la Poésie de Namur accueillera la conférence de presse et la soirée de lancement du principal projet de Carl Norac, en tant que Poète National. Il est intitulé « Escales poétiques ».
Il s’agit de deux résidences poétiques (Watou et Namur), d’un Festival de la Lenteur (à venir), ainsi que d’une navigation entre Flandre et Wallonie, en compagnie de poètes belges francophones, néerlandophones et germanophones, invités pour des temps d’échange, de création au fil de l’eau et de rencontres publiques dans les villes partenaires.
Cette navigation, initiée par Carl Norac, Poète National de Belgique – Dichter des Vaderlands, se déroulera du 2 au 15 septembre 2021, entre Namur, Bruxelles et Gand, à bord de la péniche namuroise Formigny et grâce à l’organisation de l’association Caranusca. Carl Norac voyagera notamment en compagnie des poètes Astrid Haerens, Amina Belorf, Yves Namur, Laurence Vielle, Jan Ducheyne, Aurélien Dony, Lisette Lombé, Paul Bogaert et Jessy James Lafleur.
Le 1er septembre, la Maison de la Poésie accueillera la conférence de presse ainsi que 4 poètes, Carl Norac, Lisette Lombé, Astrid Haerens et Amina Belorf, pour une rencontre et des lectures bilingues. L’exposition de Carl Norac « Rops pas à pas, sur les chemins du poète » sera également ouverte au public.
Les mots de Carl Norac
« Depuis que j’écris, je n’ai jamais accepté cette frontière invisible qui fait que les artistes des différentes communautés linguistiques de mon pays se connaissent si peu. Beaucoup d’initiatives existent aujourd’hui. En particulier, l’action profonde et enthousiaste de l’ensemble des maisons littéraires pour Poète National / Dichter des Vaderlands est fondamentale et je donnerai toute mon énergie pour les aider sur leurs chemins. (…)
Le projet que je soumets donc à ce propos est un tour de Belgique de quinze jours par les canaux, en péniche, où monteront, tout au long de ces deux semaines, des poètes des différentes communautés, sachant qu’aller les un.e.s vers les autres demande du temps, avec cette volupté de la lenteur qu’offre la navigation sur les canaux ou les fleuves. Faire se croiser aussi la plus jeune génération de poètes, celle qui est en mouvement, qui veut changer nos codes, nos conforts d’écriture, nos habitudes. »
Infos pratiques :
- Réservations pour la soirée de lancement du mercredi 1er septembre à Namur : +32 (0)81 22 53 49
- Informations et demandes d’interviews pour la presse francophone : info@maisondelapoesie.be
- Informations et demandes d’interviews pour la presse néerlandophone : info@vonkenzonen.be
Dossier de presse complet : cliquer ici.
Calendrier des événements publics :
- Conférence de presse : le mercredi 1er septembre, à 18h, à la Maison de la Poésie de Namur
- Départ de Namur : le jeudi 2 septembre, Quai des Chasseurs ardennais
- Escale gantoise : le mercredi 8 septembre (programmation digitale à venir)
- Escale bruxelloise : le dimanche 12 septembre, à 15h30, au Quai des péniches
Le Poète National est une initiative littéraire, créée en 2014, qui valorise les échanges littéraires et culturels entre les 3 communautés linguistiques de notre pays. Le Poète National belge est désigné pour une période de deux ans durant laquelle il a pour mission d’écrire au moins 12 poèmes (6 par an) sur des thématiques liées à l’actualité ou à l’histoire de notre pays et/ou de la société. Grâce à l’aide d’un collectif de traducteurs soutenu par Poëzicentrum, tous les poèmes sont disponibles sur le site du Poète National dans les trois langues nationales.
Un projet en partenariat avec la Maison de la poésie et de la Langue Française de Namur, les Midis de la Poésie de Bruxelles, VONK & Zonen, le Poëziecentrum de Gand, La Maison de la poésie d’Amay, Passa Porta, maelstrÖm fiEstival et l’association Caranusca, avec le soutien de l’Accord de coopération culturelle des Communautés française et flamande et la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature.
© Illustration tirée du leporello À l’estime – carnet de paysages du peintre Ronald Curchod et du poète Carl Norac, réalisé lors de leur résidence à bord de la péniche Ange Gabriel, à l’occasion du festival les petites passerelles 2018 // https://www.ronald-curchod.net/
DEUIL NATIONAL
Quel est le poids d’offrir une épaule de mots
quand le monde vacille
ou que des gens deviennent, dans le courant,
des fétus de paille ?
Un enfant voit passer sur l’eau
un chevreuil, un jouet, une voiture.
Puis une femme avec, au-dessus de la tête,
ce sac brandi comme le journal d’une vie.
Ceux qui ont fermé les casernes de secours,
ceux qui ont supprimé jusqu’aux sacs de sable
pour la loi du marché,
pour d’autres sabliers plus rentables
sont là à se répandre en compassion,
à nous servir leur fable,
un nœud si propre en leur mouchoir.
Ils connaissent la chanson
entonnée l’an dernier quand le soleil devint fou.
Oui, voilà leur urgence à aller de tiroir en tiroir,
à trouver les mots pour paravent
des actes murmurés, cœur sur la main
et coude bien posé sur le dossier qui saigne.
Ah comme il est étrange et cruel, en ce jour,
de proférer ce mot qui, en amour,
tant flamboie parfois au tout premier regard
et qui aujourd’hui devient
le seul leitmotiv de l’excuse :
l’imprévisible.
POUR LA FAMILLE ABOU HATAB
(dont vous ne connaissez pas le nom)
Dans le camp de réfugiés d’Al-Shati, c’était le jour de l’Aïd.
Malgré le feu sur toutes les lèvres, ils s’habillèrent pour la fête.
Huit enfants, deux femmes.
Ils se vêtirent sans le savoir pour mourir en famille.
Pas le temps d’atteindre la cave.
Les mains ce matin-là voulaient fondre dans le miel.
Ne pas oublier que la fumée peut survenir derrière la vitre,
avec les sifflements, mais dessiner sur la vapeur
d’un thé ou lentement découper les viandes blanches,
couteau luisant pour seule arme.
Mais cette fois, c’est à la fin du jeûne qu’il advint
qu’on devienne en mère, en fille ou en garçon
de la chair à canon.
Ailleurs, le marchand d’armes descend aussi
vers sa cave : il y regarde son vin vieillir,
à la lueur traque la lie, celui-ci est trop jeune, un peu vert,
attendons belle robe, et mieux que Noé, le Sage
de tous les livres, habile autrefois en ses vignes,
sachons du raisin soutirer le plus précieux carmin.
Ces tirs bien loin de là, juste à l’ouest de Gaza,
on les nomma ainsi : une dissuasion.
La dissuasion d’exister, de respirer,
de s’entendre derrière les parois
comme tant, dans les deux camps, y aspirent,
de s’engager ensemble à ne plus vivre encagés,
enclavés, encavés par l’histoire.
Huit enfants, deux femmes encore,
un samedi matin au grand pressoir
de cette humanité perdue pour une soif ancienne.
La date du retour au partage du jour
fut choisie par des savants en observant la lune,
celle dont le rouge parfois enflamme le soir sans brûler.
L’Aïd el-Fitr, au fond des âges, célébrait la pluie
et l’éclipse. Hier, il ne plut que des bombes
et c’est notre monde, non plus l’astre de la nuit,
qui pour longtemps s’est obscurci
dans le rond d’une cible.
Carl Norac – 16 mai 2021
Le 21 mars, à l’occasion de la Journée mondiale de la Poésie, les partenaires du projet Poète National annonceront officiellement que le poète néerlandophone Mustafa Kör sera le prochain Poète National et qu’il entrera en fonction en janvier 2022.
Lors du Gedichtendag 2022, la Journée néerlandophone de la Poésie, Mustafa Kör prendra le relais de Carl Norac, en tant que Poète National de Belgique. Comme ses prédécesseurs, il prendra ses fonctions pour deux ans, durant lesquels il aura pour mission d’écrire 12 poèmes adressés aux Belges, sur des thèmes d’actualité ou qui lui tiennent à cœur. La Journée Mondiale de la Poésie est un moment symbolique adéquat pour l’inviter officiellement à rejoindre l’équipe des Poètes Nationaux, au sein de laquelle il soutiendra Carl Norac dans ses projets, avant de lui succéder.
Carl Norac, le Poète National en fonction, actuellement en résidence à la Maison du Poète à Watou, a souhaité surprendre Mustafa Kör, chez lui, avec Maud Vanhauwaert. Il a choisi de lui adresser un poème, spécialement écrit pour l’occasion. Les deux hommes l’ont symboliquement planté dans le jardin de Kör, pour représenter le lien entre les deux poètes et les projets de Mustafa qui ont encore un an pour éclore et se développer. En collaboration avec LangZullenWeLezen, le Poëzicentrum a réalisé une brève vidéo, dans la série Dichter met Maud, de façon à diffuser cette nouvelle à l’échelle mondiale.
Les premiers mots de Mustafa Kör
Mustafa Kör s’est confié sur son futur rôle de Poète National :
J’aimerais enlever la poésie des jardins botaniques au sein desquels elle est souvent logée. Cet environnement précieux peut être hermétique, je souhaite donc emmener les poèmes dans les jardins et les semer, en espérant que ma poésie s’épanouira et proliférera dans des formes hybrides, amorphes, nouvelles et affirmatives.
Durant les quelques mois précédant sa nomination, Mustafa Kör commencera déjà à travailler en étroite collaboration avec Carl Norac, à travers divers projets, comme « Dansez le poème », en collaboration avec la Maison de la Poésie de Namur. Cela permettra de renforcer encore les liens entre poètes, au-delà des frontières linguistiques. Lorsque Kör deviendra Poète National, Carl prendra à son tour le rôle d’ambassadeur de Mustafa.
Biographie de Mustafa Kör
Mustafa Kör (1976), fils de mineurs, est écrivain et poète. Il est né en Anatolie et a grandi à Ogrimbie, dans le Limbourg. En 1998, il subit une fracture du dos à la suite d’un accident de voiture et il vit désormais en fauteuil roulant. Son handicap a bouleversé toute sa vie et l’a poussé à se mettre en écriture, « par colère, par amour. Je voulais tout exprimer », a déclaré Kör lors d’une conférence à Genk, en 2010.
Mustafa Kör connaît le succès dans sa carrière d’écrivain depuis plusieurs années déjà. Il est notamment connu pour son roman De Lammeren (Les Agneaux), publié pour la première fois en 2007 et révisé puis réédité, en 2017, par Uitgeverij Friday. En 2008, il a été Poète de la Ville de Genk pendant un an. Il a remporté le premier prix du concours hollandais El Hizhra, section prose, pour son récit intitulé « Uitverkorene ». En outre, il a reçu le prix culturel biennal de Maasmechelen et le prix Groene Waterman.
Ses débuts poétiques, Ben jij liefde, parus en mai 2016 dans Vrijdag, ont été salués par la critique et lui ont valu une nomination au prix des Poëziedebuutprijs Aan Zee, en 2017. Depuis 2018, il fait partie de Versopolis, la Plateforme européenne des poètes. Il est également parrain de Het Lezerscollectief. Il a été Poète en résidence dans une école technique à Tessenderlo (une initiative de CANON Cultuurcel et du Poëziecentrum) et, dans ce cadre, a publié un recueil de poèmes avec 16 élèves dans la collection Poëziejongens (PoëzieCentrum, 2019).
Still standing
Sortant du train bondé,
de la fourmilière des gens
qui filent vers la mer pour emplir
la digue de souffles, de fleurs en papier
et soigner leurs fêlures,
il marche vers le théâtre
et entre dans la salle vide.
Aujourd’hui, il devait y confier ses chemins,
la simple égratignure du temps quand il devient lueur,
poème comme sable ou caillou, jamais cendre,
avec ces pointes d’ongles
que la paume adoucit vers le regard des autres.
Personne. Devant la porte scellée,
ces sièges rouges fermés comme des huîtres,
debout, il lit cependant. Pas pour lui-même.
Il envoie ses paroles aux quatre coins,
qu’elles fassent office de paysage, prennent place
pour les absents qui, peut-être,
se seraient laissés traverser.
À la dernière strophe, il hausse la voix,
avec fougue, comme si ses phrases
portaient juste un peu de poudre.
Qui sait ? La poésie parfois fait sauter les serrures.
Et c’est ce qu’il advient.
Par cet infime appel d’air vers la rue,
passantes et passants entrent lentement,
s’asseyent en forçant
les coquillages de velours rouge.
Plus rien ne bouge.
L’homme lui-même se tait un court instant
et ce premier silence, devant une assemblée,
ayant pour seule loi le bonheur
d’être rompu ensemble,
explose soudain tel un chant.
Ah comme il est bon de retrouver en soi
au moins un mot qui n’obéira pas.
Table rase
L’année s’est immiscée et c’est nous
qui devons la meubler d’un souffle.
Faire table rase, disais-tu.
Mais nous venons déjà de jeter janvier
devant nous telle une fausse promesse,
un peu de pain semé au ciel
en dessinant du regard un oiseau invisible.
A la file, nous vaquons toujours au désordre.
Cependant, nous entrons
en ces chemins contrariés
avec ce qui demeure de feu, d’immuable
en nos constructions d’allumettes,
nos châteaux de sable, nos élans,
nos précieux samizdats, nos résolutions.
Pour exaucer nos rêves encombrés
demeure sur nos routes,
en ce matin de février,
le mot espoir qui traîne.
Un espoir sans frémir, ni briller, ni falloir.
Jusqu’où le pousserons-nous
en nos maisons, coûte que coûte ?
Nous le posons sur une table,
puis sur la page à peine tournée.
Avec ce mot-là pour emblème,
nous pouvons au moins démasquer,
loin de la gueule de l’emploi,
deux lèvres entrouvertes au poème.
« À la suite de la publication du cinquième Poème National, le poète de la région germanophone Leo Gillessen a relevé un mot qui l’a inspiré pour écrire un autre poème. Carl Norac a souhaité le partager. Le mot « samizdat » lui est cher, lui rappelle son adolescence où il militait très activement pour la libération d’écrivains russes et roumains emprisonnés, et dont le samizdat demeurait l’ultime espoir d’être entendu et aussi d’exprimer leur art ».
Samizdat
– tout autorité se méfie de ceux qui n’ont pas peur
Nous écrivons
le tout de suite
ce qui n’attend pas
comme on ne peut
interdire que je parle
et que j’écrive
seul dans ces nuits
des jours mornes
avec leur méfie
imposé par ceux
qui se croient d’un air sérieux
imposeurs par nécessité
et qui disent ‘on doit absolument’
par peur de la menace
‘la mort’ dit-on au bout
du doigt soulevé
éviter la mort à tout prix
et puisqu’ils se rappellent
en parlant que nul ne peut
arrêter sa mort puisqu’on
la fait soi-même seul
quand il faudra alors
ils disent il faut éviter
celle des autres comme si
on pouvait donner la faute
de sa mort à autrui ou
ôter aux vieux
leur souveraineté de la vie
et ce qui règne
c’est la peur qui ainsi
s’embrase et ravage
toute culture tout soutien
et tout biotope florissant
et maintenant tout de suite
il est temps de regarder
comment on essaye
d’organiser la vie
la sienne et celle des autres
non par les structures de la menace
et de la peur semée
par manque de clarté
des esprits posés sur les braises
de vieux incendies
jamais éteins
seul des êtres libres
font une société libre
ainsi à chacun de se libérer
de toute contrainte et menace
qu’il a tenu jusque-là
pour survivre au malheur
il y a l’espoir ce crochet qui ne sert
qu’à accrocher les vieux habits
d’une fausse sécurité
puisque nous savons dès notre enfance
que toute sécurité est fausse
et nous savons depuis toujours
que la vie est juste tel quel
et que nous pouvons
en chaque moment
nous appuyer sur ce qui est
l’incroyable confiance
en ce qui est juste vie
et liberté en nous
Alors que les élections présidentielles ont été et sont encore un sujet brûlant aux États-Unis et au-delà de leurs frontières, Carl Norac a choisi d’écrire une ode à l’Amérique, son Amérique.
Nous avons tous en nous une Amérique rêvée, mêlée de musique, de livres, de rêves… C’est le cas de Carl Norac, adolescent nourri de références made in USA. Patti Smith, Walt Whitman, John Cassavetes… les allusions du texte sont autant de souvenirs qui lui sont chers.
O Captain ! My Captain !
Adolescents, nous allions au Stock Américain
acheter un peu d’eldorado.
Juste un cuir frotté, pas de l’or,
ou ce denim pour moquer un ciel
qui se délave ici bien avant la pluie.
Nous revenions de Bruxelles, si rutilants
dans l’omnibus, lissant nos bottes et nous levant
comme on claque des ailes.
C’est Lou Reed qui ensuite m’emmena jusqu’à Berlin,
Jack London au Pôle et Patti Smith vers Charleville.
En quelques ombres, Cassavetes me donna envie
d’acheter une caméra à deux sous pour tenter
de dire l’autre vérité du monde,
celle qui serait déjà sur le seuil, à portée de souffle.
Ciné-club de l’école : sur l’affiche,
nous lisions en riant It’s terrific !,
Orson nous toisant en un Citizen Kane
que nous pensions bien à tort
voir disparaître après le générique.
Si sages, étudiant nos leçons sur la Révolution
inspirée des Lumières, nos idées rougissaient
sous la bière, moins timides,
ou se recueillaient sur des tombes blanches.
Sur la route, tuant nos dimanches,
nous n’allions pas bien loin,
easy riders à mobylettes déjantées
ou coureurs de pâtures et d’orties,
simples chapardeurs de maïs,
mais le verbe haut, à la Kerouac.
Je me souviens aussi d’avoir enroulé
dans mes mains, emporté pour refrains
les « Feuilles d’herbe » de Walt Whitman.
Cette nuit, c’est bizarre, tout s’étiole, tu le sais,
sous une bannière mal entoilée,
mais le fantôme de ce poète
qui parlait à Lincoln, tu le vois passer là,
au pays de grande fièvre,
errant comme s’il comptait des voix :
O Captain ! My Captain !
Et tu répètes avec lui, du bout des lèvres,
sans plus rien commenter, ni chanter :
O Captain ! My Captain !, dis-moi,
où va mon Amérique ?
Carl Norac Nuit du 3 au 4 novembre 2020