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Laurent Demoulin : « La Mort nous a volé… »

À P.F. et à son grand-père

 

La mort nous a volé un être humain vivant

Et voilà qu’aujourd’hui la vie nous vole un mort

Absent dans la présence absent dans le présent

 

Présent dans notre absence et absous des remords

Aimant de loin aimant sans fin aimant en pleurs

Pour trouver dans l’amour le seul vrai réconfort

 

Tu étais une amie un frère ou une sœur

Une mère un grand-père une épouse un époux

Nous t’offrons en pensée tant de bouquets de fleurs

 

Que jamais aucun d’eux ne fanera en nous

La mort a beau voler un être humain mouvant

Et la vie d’un virus un dernier rendez-vous

Toujours ton souvenir en nous sera vivant.

Paul Demets : « Re-respire (pour R.)

Comme des poissons dans leur bocal nous tournons en rond

dans la pièce. Les jours glissent sur notre peau.

Jours dont on ne sait que faire.

 

Jours de désir de lointain, jours hâtifs comme des voix d’enfants

fleurant l’herbe culbutants nous immergeant

dans tout ce bleu qui jamais ne fut d’une plus étrange clarté.

 

Nous nous cachons dans des gants,

respectons la consigne des chariots. Touchons

le moins possible nos visages.

 

Nos mains se languissent de peau

et de laver. Car l’eau est respiration.

Les rideaux comme des cannes immobiles pendent au soleil.

 

Nous quittons la pièce, revenons vite.

Le chat nous fixe d’un œil innocent.

Quelque chose brille et frétille hors du bocal.

 

Re-respire, crions-nous, re-respire. Mais pantelant

ça se tortille, arqué. Toute la pièce

s’enroule autour de toi, tour sur tour.

 

Lundi 30 mars 2020, R. est morte à Gand. Elle avait tout juste 12 ans, ce qui fait d’elle une des plus jeunes victimes connues du Covid-19 au monde.

Traduction : Kim Andringa

Het gedicht in het Nederlands

Serge Meurant

Dans l’ignorance
de ce qu’il vécut
tu prononces les mots
d’adieu et tu trembles
de ne pouvoir témoigner

Francesco Pittau 

 

Tu es là

le matin dans la lumière blonde

de la véranda dans la pénombre

du couloir encore frais

des ombres de la nuit

qui fut courte

qui fut longue aussi

 

Le bruit des couverts dans le tiroir qui

coince un peu

le petit bruit de la tasse

l’odeur du pain le cliquetis du couteau

sur le bord de l’assiette à fleurs bleues

et le silence de ta voix

 

Tu n’es plus dans l’âpreté de l’hiver

tu n’es plus dans la splendeur du printemps

tu n’es plus dans le soleil de l’été

je marche dans les rousseurs de l’automne

avec ton rire enfoncé dans ma poche

comme un animal chaleureux

Carino Bucciarelli  : « Mars 2020 »

Nous étions attablés

autour d’une table trop grande

des hommes des femmes éparpillés dans les années

qui nous séparaient

les chaises vides marquant les heures et les espaces

 

Personne ne prenait la parole

elle était devenue inutile

les regards suffisaient pour partager

ce qui restait à partager

 

Que restait-il ?

la mort d’une proche

la mort d’un lointain

 

Et cela faisait beaucoup

autour de la table où les mains

ne pouvaient plus se toucher

où les lèvres se tenaient loin des visages

Lucien Noullez

Qui pousse dans le dos ?

Je ne retrouve plus mes clés.

 

Qui donc a mis des larmes dans mes poches ?

Je ne retrouve plus le fil.

 

Je ne couds rien : ni la colère,

ni tout ce qui pourrait prier.

 

Des grelots me secouent.

Je voudrais t’appeler,

 

mais je fouille en vain nos maisons.

Mon téléphone est dans la nuit.

 

Qui pousse dans le dos ?

Qui me vide de toi ?

Eric Brogniet : « Rose noire »

 

La rose ouvre la rose
En son mêler intime
Car le blanc et le noir
En leur chemin

Sont complémentaires
Et dessinent la voie du vide parfait
Où chacune déplie l’autre
En son pétale

 

Entre l’aube et sa rosée qui pleure
En ce crépuscule où luit la voie lactée
Et l’opalescence
Où l’infini prend source

La rose est dans la rose
Et la rose est illimitée
En chaque frisson qui l’éblouit
Sous cette lumière qu’on appelle la vie

 

Qui es-tu, rose en ce mois de mai
Resplendissant de toutes tes blancheurs
Jeunes pétales en avalanche
Sous des ciels encore changeants

Cœur serré qui veut éclore
Et se dénouer
Au toucher d’un cœur complémentaire

Que la brise légère en son toucher
Agite sur sa tige
Et qui surgit des pierres
Bordant un chemin qui n’existe pas ?

Qui es-tu, rose en ce mois de mai
Sinon l’éclair entr’aperçu
Et sitôt disparu ?

 

Le jour est lumineux comme une source
Et c’est blancheur partout aux branches
Où la rose à peine éclose se ressource

Mais pourquoi donc tremble-t-elle
Jusqu’en son cœur
D’un froid tout à coup assassin

Quel fragile bonheur
Faut-il donc en cet instant
Tuer

Dans le cristal figé
Où neige encor
La promesse d’un éternel été ?

Rose noire
Rose de personne
Puisqu’avançant la main
En cet air sombre

Nulle trace n’est à demeure
Et qu’écrire est la trace
D’une trace perdue

Et que la rose n’est pas l’image
De la rose ou du monde
Ou du ciel ou de la terre

Mais la présence de ce qui s’efface
Et brûle le monde
Et le ciel, la terre et la rose elle-même…

Hubert Antoine « Réservez-moi un rêve »

Pas un élan

Recouvert de peinture

 

Sinon un peu d’embrun

Dans le souffle à l’oreille

Et le ciel griffé d’ailes

 

Réservez-moi un rêve

Muet obscurément

Echappé de vous machinal

 

Comme une blessure soudaine

 

Un rêve pour après la mort

Qui me révélerait

Devant la porte de ma maison

 

***

 

La douleur ne dit rien

Mais fait dire

 

Es-tu dans le geste des mots

Qui te sont adressés ?

 

On ne sait d’où le souffle vient

Ni le lieu de l’union

De l’haleine et du vent

 

Deuxième poème de Carl Norac en tant que Poète National

Une des missions du Poète National est d’écrire, durant son mandat, douze poèmes liés à l’actualité ou l’histoire de notre pays.

En cette période de crise sanitaire, il a pris à bras le corps ce sujet qui nous touche tous : le coronavirus. Traité avec douceur, caractère et une pointe d’humour, Carl Norac nous offre ainsi quelques mots de poésie qui apaisent les angoisses de ces jours difficiles…

 

 

UN ESPOIR VIRULENT

 

J’ai attrapé la poésie.

Je crois que j’ai serré la main

à une phrase qui s’éloignait déjà

ou à une inconnue qui avait une étoile dans la poche.

J’ai dû embrasser les lèvres d’un hasard

qui ne s’était jamais retourné vers moi.

J’ai attrapé la poésie, cet espoir virulent.

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Premier poème de Carl Norac en tant que Poète National

Le premier poème de Carl Norac rend hommage au pouvoir de la poésie dans le monde d’aujourd’hui.

 

Poème pour l’enfant au bord d’une page

 

La poésie fait son nid d’une main à peine ouverte,

elle peut suivre les lignes de la paume

et aussi vivre  dans un poing.

Elle est ce souffle inattendu qui patientait en toi,

ce temps posé sur l’instant, mais qui dure.

Si tu veux la dresser, change de livre,

délaisse les gens qui veulent la définir.

Elle aura toujours le coup d’aile d’avance

de l’oiseau quand tu veux l’attraper.

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