Luuk Gruwez : « L’art de l’arbre »

En mémoire de monsieur H. V.*
né à Waregem le 6 avril 1941
et décédé à Courtrai le 29 mars 2020
des suites du coronavirus COVID-19.

 

Comme si c’était hier, je chante de nouveau tremblant

dans ma si fine tunique de phrases, exactement

comme quand un prince boutonneux se débattait encore en moi,

truffées d’un je trop abondant, pas encore rompues

 

aux caprices et aux usages du dernier soupir.

Je rêvais assis dans ta classe, lorgnait les ormes

par la fenêtre. Tu disais : « L’art de l’arbre, c’est la feuille. »

Je pouvais encore feinter : un jour je me dévoilerais dans mon écriture.

 

Alors que la pénombre n’avait pas encore envahi la pièce,

tu tenais la lampe à mes côtés, me montrais la voie jusqu’aux

confins de ma langue maternelle pour m’éviter

de me perdre en elle. Et comme tu me faisais voir

 

l’inutilité magnifique que tu tiens pourtant

à éclairer bien qu’elle resplendisse déjà d’elle-même.

−Un demi-siècle plus tard. Je dois toujours me dévoiler

dans mon écriture. Ton souffle coupé me fait

 

suffoquer. Des brigands ont débarqué en toi.

Ils se sont emparés de ta langue et de ton existence

dans le plus vorace de tous les printemps où

tu ne vois plus pousser ni tomber aucune feuille.

 

* H. V. fut mon premier professeur de néerlandais : il fut parmi les premiers à ouvrir plus amplement la porte de la littérature déjà entrouverte chez moi.

 

Traduit par Pierre Geron