Le premier poème de Lisette Lombé

Sous la vareuse de foot

 

Comme un harpon,

planté droit dans le carré de chair le plus vulnérable

d’une bête se croyant à l’abri de la voracité des hommes,

voilà que se sont mises à déferler,

sur mes sages journées,

les images de ces enfants

bien plus jeunes que la plus jeune de mes enfants.

 

Ai tenté d’éviter mâchoire du haut qui tremble
et mâchoire du bas qui tremble dans l’autre sens.
Ai tenté d’éviter foyers gravats civières cendres visages poussière vivres balancés du ciel bombes ruades réflexes de survie affolement filets de sang morts décomptes vertige otages fantômes chiffres documenter documenter attaques noms prénoms familles fosses hôpitaux de fortune frontières peau de chagrin danser tomber sol larmes sept octobre faillite collective militaires rapine selfies jouets lingerie bijoux barrages corps documenter outrages documenter linceul international documenter une jambe au lieu de deux un bras au lieu de deux un parent au lieu de deux alignement alignement minuscules draps blancs.

Ai tenté,

quelque part entre bonne et mauvaise conscience.

Ai tenté d’éviter

mais déjà déroute,

mais déjà désastre,

passés de la rétine à la moelle sensible.

 

Un enfant,

le redire,

bien plus jeune que la plus jeune de mes enfants,

partage sa ration de nourriture avec un chien.

Division du dénuement.

Un autre,

à plat ventre dans la boue,

boit l’eau d’une flaque.

Soif de justice.

Un autre dit : « Ton père est un martyr »

Orphelin automate.

Petites mains pinces de crabe.

Sphincters ouverts.

sous la vareuse de foot,

un cri cherche sa voix.