Le deuxième poème de Lisette Lombé
Et nous parlerons alors le même langage
DEMANDEZ-MOI pour qui je voterai aux prochaines élections, pour qui j’irai glisser dans les urnes le ticket gagnant du futur de mes enfants
et vous comprendrez le mot CONFIANCE.
DEMANDEZ- MOI pardon pour la gauche guimauve, pardon pour la droite draculesque, pardon pour le ventre fourre-tout du centre, sincèrement pardon
et vous comprendrez le mot COURAGE.
DEMANDEZ-MOI combien de couleuvres, combien de sornettes, combien de gouttelettes de spermes ou de sottes promesses j’ai avalées depuis mon adolescence
et vous comprendrez le mot DOMINATION.
DEMANDEZ-MOI à quelle heure mes tantes se lèvent, à quelle heure elles se pressent dans les transports en commun, à quelle heure elles soignent leur dernière patiente
et vous comprendrez le mot INTÉGRATION.
DEMANDEZ-MOI combien de fois mon tendre père a revu ses parents, congolais, entre le jour de son arrivée en Belgique et le jour de ses quarante ans
et vous comprendrez le mot PATRIE.
DEMANDEZ-MOI d’où je tire ma nostalgie pour les attrape-mouches suspendus au-dessus des nappes cirées et pour les soupers en boîtes de conserve
et vous comprendrez le mot PEUPLE.
DEMANDEZ-MOI pourquoi je reprends le sport sur le tard, pourquoi cette reconquête de souffle, pourquoi le couteau de la jeunesse toujours entre les dents
et vous comprendrez le mot ENGAGEMENT.
DEMANDEZ-MOI si j’aime et si je suis aimée, comment j’aime et comment je suis aimée, pourquoi j’aime et pourquoi je suis aimée,
et vous comprendrez le mot DIVERSITÉ.
DEMANDEZ-MOI pour les couleurs de la citoyenneté, des cités et des forêts, pour la parole démaquillée des obligations de résultats, pour les décisions qui ne se prennent plus aux abois,
DEMANDEZ-MOI pour les manches retroussées des poèmes, pour la gratuité de l’aube et des soins, pour le cordon ombilical et pour le cordon sanitaire,
DEMANDEZ-MOI pour la débrouille des daronnes, pour les rustines invisibles de la nation, pour les bravades du sort, pour l’insoumission, pour la sueur et pour les brèches
ET NOUS PARLERONS ALORS LE MÊME LANGAGE.