• Fleurs de funérailles

    POÈMES FUNÉRAIRES PERSONNALISÉS

« INDEX DES POÈMES PERSONNALISÉS

 

Victoire de Changy : « Pour Gilbert D. »

Véronique Daine : « Deux arbres » (+vidéo)

Paul Demets : « Re-respire (pour R.) »

Laurent Demoulin : « La mort nous a volé »

Claude Donnay : « Du plus profond de l’Ardenne »

Aurélien Dony : « Pour Tico » et « Sur les tambours »

Perrine Estienne : « Simon »

Rose-Marie François : poème pour les familles du personnel soignant victime du Covid (De/Fr/Nl) et « À mon petit des Antipodes » (Fr, De, Nl)

David Giannoni : Hommage à Lawrence Ferlinghetti

Aliette Griz : « Tout jour là » et « Pour Gaëlle »

Luuk Gruwez : « L’art de l’arbre »

Gioia Kayaga : « Au personnel soignant » et « Pour Emile Ngondo Mbala »

Caroline Lamarche : « Pour Jacques De Decker » (« Voor Jacques De Decker »)  et « Pour Xavier »

Philippe Leuckx : « Pour C. »

Béatrice Libert : « Pour la Clinique Notre-Dame de Grâce, à Gosselies »

Françoise Lison-Leroy : « Un pas plus près » et « Hommage à un enfant »

Lisette Lombé : « Cher J. »

Philippe Mathy : « Pour Béatrice H. »

Manza : « Mon monument, échos d’héritage »

Christian Merveille : « Pour Y. O. »

Yves Namur : « Tombeau pour une unième nuit » (+vidéo)

Carl Norac : « Paysage d’un homme » et « Un signe de la main » et « Lettre vive à Marcel Moreau » (+vidéo) et « Pour Mawda »

Colette Nys-Mazure : « À Marie Madeleine Mpembe Olongo (Peepe) »

Béatrice Renard : « D’une sœur à un frère… »

Timotéo Sergoï : « Pour Mme C. R. »

Jacques Sojcher : « Hommage à Marcel Moreau »

Pascale Toussaint : « À Evelyne »

Laurence Vielle : « Valse pour ceux qui soignent »

Laurence Vielle et Carl Norac : « Où que le cœur se pose »

 

 

Avec le soutien de la Loterie Nationale et ses joueurs.

 

 

 

Le premier poème de Lisette Lombé

Sous la vareuse de foot

 

Comme un harpon,

planté droit dans le carré de chair le plus vulnérable

d’une bête se croyant à l’abri de la voracité des hommes,

voilà que se sont mises à déferler,

sur mes sages journées,

les images de ces enfants

bien plus jeunes que la plus jeune de mes enfants.

 

Ai tenté d’éviter mâchoire du haut qui tremble
et mâchoire du bas qui tremble dans l’autre sens.
Ai tenté d’éviter foyers gravats civières cendres visages poussière vivres balancés du ciel bombes ruades réflexes de survie affolement filets de sang morts décomptes vertige otages fantômes chiffres documenter documenter attaques noms prénoms familles fosses hôpitaux de fortune frontières peau de chagrin danser tomber sol larmes sept octobre faillite collective militaires rapine selfies jouets lingerie bijoux barrages corps documenter outrages documenter linceul international documenter une jambe au lieu de deux un bras au lieu de deux un parent au lieu de deux alignement alignement minuscules draps blancs.

Ai tenté,

quelque part entre bonne et mauvaise conscience.

Ai tenté d’éviter

mais déjà déroute,

mais déjà désastre,

passés de la rétine à la moelle sensible.

 

Un enfant,

le redire,

bien plus jeune que la plus jeune de mes enfants,

partage sa ration de nourriture avec un chien.

Division du dénuement.

Un autre,

à plat ventre dans la boue,

boit l’eau d’une flaque.

Soif de justice.

Un autre dit : « Ton père est un martyr »

Orphelin automate.

Petites mains pinces de crabe.

Sphincters ouverts.

sous la vareuse de foot,

un cri cherche sa voix.

Le douzième et dernier poème de Mustafa Kör

Belgique

 

sur tes routes tantôt déchirées

tantôt semées de pavés ricanants

je me suis lancé, tout bêtement comme le sang qui circule

je voulais déterrer les trésors de ta glaise

mais ne sachant où les trouver, j’ai pris la mer

hissé les voiles et vogué vers des horizons délaissés

le fameux bâton des ancêtres, taillé dans un

arbre glorieux, m’a montré le chemin quand je m’égarais

pendant que fébrilement je vous cherchais, il m’a parlé

son langage était antédiluvien

un frissonnement montant du ventre de la terre

nous a traversés lorsque nous avons compris tous les deux

qu’il importait peu que nous parlions la langue de l’autre

et dès que nous l’avons su, est venu l’adieu rédempteur

de ceux qui n’avaient pas aimé qu’avec les yeux

 

 

Mustafa Kör
Traduction :  Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le onzième poème de Mustafa Kör

Bibliophile

 

Ce sont des promesses que tu espères décrocher

sous abri comme ruches bourdonnantes

Un coup d’œil a suffi il t’en fallait plus

pour vivre

 

Zigzaguant, longeant les échines, tu cueilles
aux rayons bien gorgés ci et là quelques fruits

Chaque fois que tu en touches un, corps et âme

tout s’illumine

 

Sous l’emprise d’une grande clarté tu chasses

depuis en territoire conquis. Le butin escompté,

feuilles d’or et lucidité

 

Sous cette charpente reposent d’éternelles merveilles

à portée de main, comme des bonbons. Cela, tu l’as senti

d’emblée. Depuis les jupes maternelles

tu as levé les yeux et ton Big-Bang s’est accompli

 

Mustafa Kör

Traduction : Danielle Losman, avec Katelijne De Vuyst et Pierre Geron

Le dixième poème de Mustafa Kör

Seul

 

une mer d’acier nous séparait

échoué d’un autre bord

sur ce rivage hostile je vous ai trouvé

 

les vagues vous lavent, préparent la levée du corps

vous délivrent en votre grande solitude

 

la solitude appartient au créateur

est-ce pour ça que j’incline la tête et exhume

des prières pour votre passage

 

si l’on vous oublie, je me demande

une telle mort, sera-t-elle notre destin

ou aurons-nous miséricorde

 

votre dernier soupir

la houle qui m’a porté vers vous

 

à peine ai-je frôlé votre rivage que

je rejoignais la tempête qui n’apportait plus rien

que des vers tardifs dans le silence que vous nous laissiez

 

Mustafa Kör

Traduction : Danielle Losman, avec Katelijne De Vuyst et Pierre Geron

Le neuvième poème de Mustafa Kör

Bon vent

 

Ce n’est pas un adieu

C’est-à-dire pour qui aime

Avec son corps

 

Mustafa Kör
Traduction : Pierre Geron

Le huitième poème de Mustafa Kör

Grands enfants

Tu te réveilles et tu vois un monde déchiré
Aussitôt tu deviens une grande personne
Qui doit retenir ses larmes pour des parents

 

Tu veux bercer la terre la rendormir
Dire que tout s’arrangera
Comme le promettaient les affiches sur tes murs

 

L’enfance c’était attendre et subir
Mais aujourd’hui tu as le premier choix
Dans la sélection d’un avenir

 

Tiré du bac à balles que je t’ai apporté
Pour qu’un moment encore tu restes un simple enfant
Inventeur du rire généreux

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le septième poème de Mustafa Kör

tuessibellesibelle oh tu es si belle tu es la plus bellet
u as des yeux à s’y perdre de si beaux yeux je nai ja
mais ils brillent de mille feux et tes lèvres leur mervei
lleuseforme sublime roseprofond lèvreslumineuses v
raiment uniques qui invitent aux baisers et tes mains
et tes doigts dieu comme tracés au pinceau gracieux
et fuselés comme des vignes au soleil àsaluer avecr
évérence ton rire désarmant rire éclatant qui chasse
les soucis et invite à rester près detoi àte rejoindrese
montrergénéreux commetoi latendre laplustendredou
ce et bellebellepersonne adorée depuistoujours jet
aime

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le sixième poème de Mustafa Kör

Sans gêne

 

Je suis un étrange enfant qui

échoué des quatre coins du monde

parle l’abc du shaman

 

Frontière ni drapeau ne me sont étrangers

je connais les confins de Matin et Soir

où j’arrive s’ouvrent des yeux et des oreilles

 

Je castagne des sévillanes débite des mots sur scène

et chante des refrains que tu veux comprendre

quand tu te décides à vraiment les écouter

 

Mais mon accent mi ! là. si. da. nee, frère

a déplacé l’ ان شاء الله d’autant de bornes

qu’il pouvait bâillonner de bouches radoteuses

 

Bah, je ne suis qu’un étrange enfant

doté d’un étrange langage que je dois gesticuler et

signer en panaches de fumée pour être entendu

 

On m’a appris que chaque langue est un humain

et plus tu parles de langues

plus tu deviens un humain

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le cinquième poème de Mustafa Kör

Le dernier Noir

 

Il faut du courage pour encore être un arbre

Même toi tu l’admettras

 

Ton destin a beau être devenu bourgeonnant chagrin

Tu caresses encore l’espoir d’une éclosion ancestrale

 

Le chant du cygne des noirs

Seul avec mon ombre qui s’allonge et s’amenuise

où jadis se réfugia un monde

de légionnaires et de jeunes vandales

 

Quel sera votre sort

entre montagnes de béton

sans oiseau ni loup

 

Je suis un vieil arbre

dont les jours sont comptés

Je tremble encore un instant

 

Avant de partir

je sème à tout vent mon courage

telle une prière sur la verte terre de Dieu

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le quatrième poème de Mustafa Kör

Femmes de la mine

 

Elles ont cédé aux puits

les plus profonds

leurs maris et leurs fils

 

Fouiller au cœur de l’obscurité

où gisent de préhistoriques colosses

Y descendre, c’est une chose

en ressortir sain et sauf, c’est autre chose

 

Appel ou chant des sirènes

Quelque chose les a ensorcelés

L’or de la terre reposerait là enclavé

dans la pierre et l’infinie poussière

Ils y taillaient leur pain noir pour finir

toussant saignant s’effritant

 

Mais un cœur de femme le sait bien

Pour celles qui ont donné la vie

rien n’est pire que d’attendre

 

Dans le monde ouvrier on accouche

des héros du pain quotidien car quelqu’un

doit braver l’obscurité et le danger

 

Entre des mains et des poumons meurtris

ils ramènent chez eux leur lumière

pour en inonder la table où l’on mange

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le troisième poème de Mustafa Kör

Peur du passage

 

Au revoir
Ceci est un adieu d’amertume
Un voyageur est bien obligé d’être en chemin
Sain et sauf
Allant et venant entre
Bien aimés
Une ville bourdonnante


Bonne. Route
Bon vent. Vers où ?
Ceci n’est pas un voyage, pas pour mon espèce
Spastique, mongole, sénile


Les obstacles, on les franchit lorsqu’ils se présentent
Qu’en est-il des dos d’âne ? Et des pieds de plomb ?


La quête quotidienne sur les rails et l’asphalte
Arbitraire rageur face auquel nul seigneur ne se lève
mais s’incline comme il se doit


Le calvaire du voyageur d’un jour
L’itinéraire des paralytiques et des aveugles


Je ne craindrai plus rien
si tout le monde s’énerve de notre attitude vis-à-vis
des infirmes et les arrêts dans les salles d’attente et les gares


Valides ou estropiés
Pourquoi partir, si d’office, nous nous échouerons ?
S’échouer. Se planter. S’enliser
Suffit de quelques pouces d’eau
Nous voulons la mer

 

Mustafa Kör

Traduction : Katelijne De Vuyst, avec Danielle Losman et Pierre Geron

Le deuxième poème de Mustafa Kör

Tombent les feuilles

 

Pour cet adieu prématuré
tout sonne faux
chant du coq, choeurs d’enfants, mon coeur battant

 

Tu avais une fenêtre
qui donnait sur les toits
et les champs d’un village de Flandre
par temps clair les crêtes de la capitale

 

Tu voulais exister
as pendu ton manteau dans un lieu lointain
inconnu de tous

 

Quelle importance alors
que règne la paix
ou que la récolte soit bonne

 

Souvenirs de
tout y porte le parfum d’une
chose fleurie avec l’automne dedans

 

Les chats des rues
la fille d’en face
chacun connaît ton nom
et l’histoire de ton cri devenu soupir
tu es ici
frère, ami, voisin, enfant de tous

 

Telle des feuilles tombées en mai
ton odeur descend sur villages et champs
prématurément

 

Mustafa Kör

Traduction: Pierre Geron en collaboration avec Katelijne De Vuyst et Danielle Losman

Le premier poème de Mustafa Kör

vers vous

 

levez la tête hors de cette heure sombre
bientôt notre voie sera libre et notre pas à nouveau léger
entretemps nous parcourons des lieux où nous revigorent
des pains épargnés d’autres bouches

 

à présent nous allons nous
offrir des mots sans les posséder
des mots vifs lestes qui nous
des pensées aérées éclairées qui vous
font ployer pour ouvrir avec des vers
encore plus droits plus baroques les coeurs
les pièces et les frontières où nous rêvassons jusqu’au moment où
le mortel se décompose et allant
vers vous adopte une voix lavée

 

levez la tête
monarques et suiveurs ne pèsent pas lourd

nous sommes déjà la terre vers laquelle nous partons
nous saurons domestiquer aussi cette nouvelle vie
car nous sommes des paysans patients
qui se récoltent sillon après sillon

 

 

Mustafa Kör

 

Traduction: Pierre Geron en collaboration avec Katelijne De Vuyst et Danielle Losman

 

 

Victoire de Changy : « Pour Gilbert D. »

on s’en va comme on vient

à la hâte

tête haute

les pieds qui claquent

la bouche qui se tait

pour laisser dire

les bouches des autres

on s’en va comme on vient

à la hâte

tête haute

mais poussant les aimés

une main dans leur dos

par-devant soi

dans des voies rêvées

qu’ils seront les premiers

à fouler

on s’en va comme on vient

à la hâte

tête haute

sans fleur

sans couronne

sans phrase

mais avec la promesse

de cette même main

dans le dos des aimés

pour toujours

posée là

Hommage à Lawrence Ferlinghetti, par David Giannoni

Hommage au grand poète et éditeur de la Beat Generation Lawrence Ferlinghetti, décédé le 22 février 2021 à l’âge de 101 ans, écrit par le poète et éditeur David Giannoni qui l’a connu et publié dès 2004 chez maëlstrÖm (avec notamment ce livre qui devrait être dans toutes nos poches pour éclairer nos chemins : Poésie Art de l’Insurrection – traduit de l’américain par Marianne Costa -, éd. maelstrÖm reEvolution, 2012). – Carl Norac

 

Lorenzo

 

Il y a de ces regards qui ne s’oublient pas

Le tien était de ce bleu de la mer

Phare qui incendie l’aurore

Qui transperce sonde et accueille à la fois

Bodhisattva

Voilà le mot qui surgit en moi

Lors de nos échanges en silence

 

Souvenir de ta main sur ce verre de bière belge

À Florence chez notre commun ami

Grand frère d’âme pour moi

Fils d’adoption pour toi

Qui nous avait liés

Les vrais amis comme le bon vin

Cela se partage

En sa ville il avait créé

La sœur jumelle de la tienne à Frisco

Librairie et édition pour porter loin

La voix des poètes

Beat beat beat Hourra !

Pour éclairer de Lumières l’antre de la bête

Howl crie encore

Et Allen, Neal, Gary, Gregory, John, Jack, Amir, Anne, Diane, Nancy…

 

Comment se fait-il que ton verbe ne séduise plus France ?

Te demandai-je sur le chemin de cette pizzeria génoise

Quelques heures à peine

Après avoir lâché sur la ville blessée

50 et mille poèmes dans les airs

 

Je me le demande aussi

Fut ta première réponse

Puis se bâtit en trois tours de paroles

Le plus beau des contrats

Pour que ta poésie de nouveau s’envole dans cette langue de Prévert

Que tu aimais tant

Langue de ta mère

Comme ton prénom

Que tu signais dans tes mails

Dans l’italien de ton père

Lorenzo

Le même que celui du mien

 

Puis le voyage

Puis ce restaurant où nous demandions

Au moment de la note

Au gentil garçon

Qu’est-ce que la poésie pour toi ?

Et lui de répondre

Sérieux et profond :

C’est l’une des choses les plus importantes dans la vie

 

Puis l’océan et tout un continent

À nous séparer entre nos rencontres

Et la poésie les livres l’inéluctable action

À nous rapprocher

Ainsi que cette autre voix

Cette femme longue et belle

À translater de ta bouche à la sienne

Ce que tu veux réellement nous dire

Sans te l’expliquer

 

Les années nous menèrent au seuil du siècle

Tu le franchis avec joie et détachement à la fois

Tous autour de toi à fêter

Et loin en Europe

Et partout à crier tes mots

À honorer le Little boy que tu demeurais

 

Après 100

101

Et…

 

Le Verseau ne se mue pas en Poisson

Pas en bélier

Cette année

 

101

 

Chiffre âge destinée

Miroir

 

1

0

1

 

Tu passes la frontière

Comme le poème que ta vie ici

Trace encore en nous

 

Cela est immortel

 

Héros devenu mythe

En un éclair instant

 

Nous t’entendons encore en te disant

Tu parles à travers les flammes de l’Insurrection permanente

 

Speak out

Prenez la parole

Telle était ton incantation

 

La voici cette parole

Distance la plus courte entre nous

 

Cette voix elle dit…

 

La poésie c’est une vision brillante qui s’assombrit, une vision assombrie qui s’illumine.

Un poème devrait s’élever dans l’extase, quelque part entre parole et chant.

Un vrai poème peut créer un calme divin dans le monde.

La poésie existe parce que certains tentent de mettre les fleurs en prison.

La poésie ne vaut rien et par conséquent elle n’a pas de prix.

La poésie est le parfum de la résistance.

Poésie : le sous-vêtement de l’âme.

Tout enfant qui peut capturer une luciole possède la poésie.

Aliette Griz : « Pour Gaëlle »

Pour Gaëlle

 

La vie traverse Gaëlle et Gaëlle traverse la vie

Et c’est ainsi qu’il faut s’y faire

La vie donne à Gaëlle

Une aura qui persiste

Jeune mère et femme de défis

Relevés d’un sourire

Camerounaise et belge

Gaëlle traverse la vie avec l’aisance de celles

Pour qui la retenue

Est un élan

Quiconque côtoie Gaëlle sait qu’elle

Apporte sa lumière sans effort

et chacune, chacun

Se demande pourquoi la vie n’a pas continué

La vie traverse Gaëlle et oublie qu’il faut du temps

Pour faire sa vie pleinement

La vie étourdit et Gaëlle sourit

La vie traverse Gaëlle et rien n’explique pourquoi

La vie s’interrompt

Gaëlle traverse la vie et les mots disent qu’elle l’avait l’envie

L’envie de plus de vie

Les souvenirs sont là

La vie traverse Gaëlle et compte s’arrêter là

Personne ne sait pourquoi

Gaëlle traverse les épreuves si vite

Et Gaëlle donne la vie

Gaëlle malade et Gaëlle maman

Gaëlle a toujours envie de plus de vie

Gaëlle maman

Gaëlle au firmament

Personne ne sait pourquoi

Ce qui ne s’explique pas

Alors pour son enfant

Pour Gaëlle et l’homme qu’elle aime

Voici un poème pour dire au présent

Là où la vie traverse Gaëlle

Au présent qui la garde

Présence pour Saturne et son papa

Gaëlle traverse les souvenirs

Au présent

Elle sourit

À la vie qui traverse et c’est déjà fini

Le présent regroupe

C’est lui qui porte Gaëlle aujourd’hui

Le présent d’un souvenir avec elle

Des mots qui s’écrivent pour celle

Qui traverse nos manques de

Gaëlle au présent

La vie traverse Gaëlle et Gaëlle traverse la vie

Et c’est ainsi qu’il faut s’y faire

Rose-Marie François : « À mon petit des Antipodes » (Fr, De, Nl)

 

À mon Petit des Antipodes

 

Ô Toi si loin, si proche,

j’aurais tant voulu,

avant de partir,

te serrer contre moi,

entendre encore ta voix…

Qui te coupe la parole

au bout du fil ?

Déjà j’enfile mon linceul.

Je prononce ton nom.

Mais aucun son ne sort

de mon respirateur.

La rose à mon chevet

fleurit incognita,

personne ne la verra,

elle se fane, elle se couche

sur mon cœur

qui va cesser de battre.

Toi, va ton chemin !

N’oublie jamais de rire !

N’oublie jamais de vivre !

Je t’embrasse une dernière fois.

Ta grand-mère qui t’aime.

Meinem Kleinen im fernen Ausland

 

O du, so weit, son nah,

wie gern hätte ich,

bevor ich verscheide,

dich so innig umarmt,

deine Stimme gehört…

Wer lässt dich am anderen Kabelende

plötzlich schweigen ?

Schon schlïpfe ich ins Leichentuch.

Ich nenne deinen Namen laut.

Aber kein Laut verlässt

den Respirator.

Die Rose auf dem Nachttischchen

blüht incognita,

niemand wird sie sehen,

schon legt sie sich verwelkt

aud mein Herz, das bald

das Klopfen verlernt.

Geh du deinen Weg !

Vergiss nie zu lachen !

Vergiss nie zu leben !

Lass dich zum allerletzten Male

noch umarmen von

deiner dich liebenden Oma.

Aan mijn kleine in ‘t verre buitenland

 

O jij, zo ver, zo dichtbij,

voordat ik overlijd,

zou ik je nog eens innig

hebben willen omhelzen en

je stem nog hebben willen horen…

Wie doet je plotseling zwijgen

aan het andere einde van de lijn ?

Reeds glijd ik in mijn lijkwade.

Ik noem je naam hardop.

Maar geen geluid komt uit

mijn respirator.

De roos op mijn nachtkastje

bloeit incognita,

niemand zal haar zien,

verwelkt al gaat ze liggen

op mijn hart, dat het kloppen

langzamerhand verleert.

Ga jij je gang maar !

Vergeet nooit te lachen !

Vergeet nooit te leven !

Laat je nog voor de allerlaatste keer

innig omhelzen door

je je liefhebbende Oma.

Traduction de l’auteure. 

Claude Donnay : « Du plus profond de l’Ardenne »

Pour Marie Louise Bastogne

 

Du plus profond de l’Ardenne,

là-bas

où les sapins défient l’hiver,

dans le ciel et dans le vent,

comme leurs grands frères canadiens,

là-bas

une voix parle de toi,

une voix se souvient de toi,

de ton sourire au matin d’un jour,

de ton sourire

même au plus noir des saisons.

 

Une voix dit ta patience,

ta chaleur,

cet élan de tout le corps

vers les têtes blondes, brunes ou rousses,

des enfants en fleurs, des enfants en pleurs.

Tu as tant donné et tant perdu,

répète la voix, là-bas,

au milieu des bois de l’Ardenne.

 

Du soleil plein la tête, tu as prié,

prié pour la vie, prié pour l’amour,

sans jamais baisser les bras,

sans jamais replier tes ailes d’oiseau libre.

Et tu as tant aimé,

les livres le savent,

ils le chantent aux fidèles de ta bibliothèque.

Cette femme, disent-ils, avait les mains de l’âme.

Qu’elle couse, cuisine ou brode,

son cœur battait au rythme des autres,

frères et sœurs du hasard,

amis de route et de rêve.

 

Du plus profond de l’Ardenne,

la voix du vent parle de toi,

quand ton regard courait sur le plateau

jusqu’aux sanglots de l’horizon.

Toi qu’il porte dans son souffle,

toi qui te glisses sur nos joues,

toi qui te pousses contre notre dos,

toi qui est là-bas,

dans la flamme tremblante d’une bougie,

toi qui nous dis dans la chaleur de cette flamme,

dans le jeu de sa lumière sur nos visages,

que rien ne s’arrête,

que la vie n’a d’autre limite que la vie,

que là-bas au fond du fond d’une Ardenne sans nuages,

d’une Ardenne au-delà des horizons,

ils sont tous présents, ton mari d’amour,

tes trois garçons chéris,

et ta maman, et tes sœurs,

avec leurs yeux pétillants et leurs bouches ensoleillées.

Ils sont tous là, tous !

 

C’est la voix qui le dit,

ta voix qui nous le dit,

rien ne se perd,

jamais,

rien ne sombre,

on se reverra,

c’est déjà demain, au détour d’un sapin

ou d’un chant d’oiseau

dans le matin d’un jour,

rien ne se perd, jamais,

on se retrouvera entre les arbres

d’une Ardenne aussi belle que la vie,

aussi grande que notre amour,

on se reverra dans l’Ardenne de ton cœur.

 

Claude Donnay  –  8 décembre 2020

Aurélien Dony : « Sur les tambours »

Pour Jean-Claude Crommelynck

 

Eh, copain, ami,

J’ai tourné retourné des vers

Dans un terreau de larmes

De mots convenus sur des airs d’église

Ecrit ligne à ligne des poèmes de départ

Mais merde quoi

Que ferais-tu vraiment

D’un poème de départ

Un poème-couronne pour fleurir ton absence

Pour évoquer tes jours comme jauniraient tes livres

Souligner le silence qui se colle à tes pas

Pleurer sur ton blouson la cigarette absente

S’apitoyer enfin sur ta voix qui s’est tue

Allez

J’entends ton rire gonfler le vent

Eh, camarade, ami, je ne veux pas ne veux pas non

Ecrire des vers comme on regrette ou comme on pleure

Des vers comme il pleut sur les mots

Des vers comme ça quoi sérieusement

T’en aurais fait

Bois pour le feu

Le cœur serré tous tes copains

Battent tambour pour ton départ

Tous les copains, les camarades,

Chopent tes vers comme des parpaings

Tous tes copains, tes camarades,

Se tiennent droit.e.s sur le pavé

Et font putain monter un chant

À creuser des trous de lumière

À même les collines du Néant

Ecoute un peu putain leur voix

Ecoute un peu comme c’est la tienne

Ecoute un peu ça qui vrombit

Qui grouille pour te donner racines

Pour te faire arbre parmi les arbres

Pour te porter comme un fanal

Ecoute un peu sûr que leurs vers

Se parfument pas à l’hémistiche

À la césure, à la rimes riches,

À la charogne d’un sonnet,

On bat tambour, on gueule j’te dis

On gueule tes mots comme tu tenais

Tête à la mort,

Tête à l’immensité du vide

Tête aux refrains des plaines mornes

Tête à la fatigue édentée

Tête aux logiques mercantiles

Tête à tout quand tout méprise

Arrache, insulte, profane, écrase

Tête à ce qui

N’est pas lumière

Tête, tête, tête, tenir tête

Tête, tête, tête, tenir

Eh, copain, camarade

Tu nous auras appris

Qu’on peut tenir, putain

Tenir

Et là

Tu vois

Si nous tenons

Malgré le choc

Malgré l’ébranlement certain

Qu’a provoqué ta volte-face

Si nous tenons

Pour peu qu’on tienne

C’est qu’aujourd’hui

On prend exemple

Ceejay

Sur tes racines

On se plante profond

On s’enracine

Puis quoi on fait bouger nos branches

Pour un salut à la hauteur

Des cimes où t’as posé ta voix

Carl Norac : « Pour Mawda »

POUR MAWDA

 

On a dit qu’elle est tombée de la voiture.

On a dit qu’on n’avait pas tiré.

Mais la courte flamme a bien fusé

sous le toit de la sirène vrombissante.

Alors, on a dit qu’on visait un pneu,

pas cette joue d’enfant transpercée,

mais ce pneu qui aurait envoyé

le monde valdinguer.

On a dit, on a médit, on a redit.

On dit souvent tant de choses.

 

Son nom était chantant, beaucoup de a

et deux w pour adoucir : Zaak-Mawda Shawri.

Pour elle, son pays avait le bruit

d’un papier que l’on déchire.

Deux ans de vie, ballottée aux frontières,

épelant Angleterre comme un bout de prière,

suivant les marchands de misère,

elle attendait ce calme, vous savez bien:

le silence qui vient sans qu’un cri ne l’annonce.

Qu’a-t-elle pu comprendre ensuite

de la folle poursuite, des hurlements, puis rien ?

 

Mawda est morte face aux plaines de mon enfance,

grisées de vert, aux pâturages sans âge,

rues brisées qui courent vers les bruyères,

où le temps passe seulement quand il y pense,

où le vent converse d’abandon avec un sapin, un saule

ou avec quelque ruminant posé ici de toute éternité.

De ce paysage jamais flamboyant

mais que rien ne rompt ou ne fend,

elle n’aperçut que le soir le plus rouge.

 

Quitter un pays qui se déchire comme une page

pour mourir à cause du seul papier qu’on n’a pas.

On dit souvent tant de choses.

Trop de choses. Mais les mots manquent parfois.

 

 17 mai 2018, sur l’E42, près de Maisières,

un procès pour entendre une vérité

à Mons le 23 et 24 novembre 2020