Carl Norac : « Un signe de la main »

à Francis Flament, poète né le 23 février 1952,

mort du Covid 19 le 12 avril 2020.

 

Je ne verrai plus ton signe de la main,

au loin, ni n’entendrai notre rire.

Nous avions cultivé l’art de nous retrouver par hasard,

si souvent que c’était presque un rendez-vous

laissé à l’humeur du temps,

à la loi douce des prodiges ordinaires.

Ensemble, nous parlions de l’amour,

de ses détours, de ses abandons.

Nous conversions de paysages

comme s’ils figuraient des gens qui sont davantage,

en bord de mer, que de vagues connaissances.

Tu me donnais aussi des nouvelles de ces rues tortueuses

et parsemées d’histoires qui mènent à notre beffroi.

Ensuite, nos dialogues s’entremêlaient

sous ces deux mots sans fond que sont

poésie et étoilement.

Nous cherchions quelque géométrie

à l’indicible, du dé tombé des doigts de Mallarmé

ou à l’étrangeté d’un dodécaèdre.

Tu y ajoutais ton goût certain du surréel,

de cet intempestif dont tu fis un chemin de vie,

aussi de l’éthique dont tu explorais les implications,

comme en cette question que tu posais,

il y a peu, sur une page :

« Ne serait-il pas salutaire, pertinent, juste que l’homme

devienne un jour, qui sait, l’égal de son avenir… »

Tu avais jusqu’à l’affleurement

cette audace des timides, homme de papier sensible,

une larme d’encre te venant par moments au récit

de la vie comme elle va ou comme elle vacille.

A fleur de peau, tu étais un jardin.

Puis tu riais à envoyer bouler le monde,

nous trinquions à la beauté qui passe,

à l’instant quand il consent à s’épeler.

Oui, tu prenais le temps d’oublier le temps,

On te demandait l’heure ? Il était toujours

« approximativement moins le quart ».

La première fois que je t’ai vu à Ostende,

bien avant que cette ville devienne mon île,

tu avais l’air ailleurs, tu regardais au large.

Je t’ai demandé alors, en m’asseyant près de toi,

pourquoi tu étais venu habiter ici.

– J’apprends aux poissons à nager,

m’avais-tu répondu.

Sur un réseau, pour profession ou vocation,

tu avais précisé : « ne pas arrêter de respirer ».

La poésie, avec ses rais de lumière ou l’ombre d’un spleen,

était pour toi la part commune du souffle.

Et ce souffle-là, personne ne pourra te l’enlever.

Que ces quelques mots écrits pour toi ce matin,

sur la digue, sous le cri moqueur des mouettes

et le vent qui va son chemin sans nous attendre,

soient encore ce qu’un poème doit être :

ce signe de la main au bord de l’invisible

à un ami qui passe.

 

Carl Norac

 

Et quelques mots de Francis Flament

qui échappent au hasard :

 

« À commencer par la vie,

il n’est rien de ce que

je possède

qui ne m’ait été donné.

Débiteur je suis né

Débiteur je partirai

Et si le hasard

devait me doter

de quelque bien, savoir

ou sagesse

que ce qui de droit revient

à l’univers

lui soit restitué

le reste

et principalement mon amour

vous est acquis ».