Libération 1945

Bien que la guerre soit bel et bien terminée, le bruit des canons résonne encore dans d’innombrables têtes. C’est pourquoi, Charles Ducal, le Poète national, a voulu, avec son dixième poème, commémorer la fin de la Seconde Guerre mondiale (8 mai). Pour écrire ce nouveau texte, il s’est inspiré de l’histoire vécue par sa propre famille au cours de cette guerre qui a marqué tant d’esprits.

Libération 1945

                              -1-

En rang contre un mur d’étable: une femme
et dix enfants. Un pistolet indique:
die alle sind ihre, die zwei sind Juden.
S. neuf ans, J. douze. Tirés de leurs jeux,

 

touchés par le cours de l’histoire.
L’angoisse pense feu, pense poudre et sang.
Ne connaît pas l’étoile, l’ultime bagage, le train
pour le camp. N’est qu’une tache, une tache chaude

 

sur un pantalon d’enfant. N’entend pas la voix
qui de-ci et de-là tire une tête dans ses jupes
et rit : Ach nein, Herr, sie sind alle mein.
Voit juste le canon qui fixe, une éternité,

 

et puis dit : der Krieg ist vorbei.

 

                              -2-

Ils venaient de la ville, les frères juifs
de mon père. S. passait parfois,
un homme sombre, un enfant contre un mur,
à perpétuité. Buvait, a fait sa bar mitsvah

 

à quarante ans, aussi en vain. La nuit
il appelait ma grand-mère, l’angoisse
comme un trou dans son âme, qu’il laissait parler,
trois fois par semaine chez un psy.

 

Un jour d’anniversaire il a marché vers le train,
le frère juif de mon père.
Sauvé du camp dans une ferme
du Brabant. Jamais libéré.

 

 

Traduit par Pierre Geron et les autres membres du Collectif des Traducteurs de Passa Porta.