Dominique Massaut : « Habiter les autres »

Ça y est. T’es parti.

Tu t’es décidé.

T’as déménagé, ça y est.

T’es parti

habiter chez les autres.

 

Je suis de tes ports d’attache.

Merci, de m’avoir choisi, moi aussi.

Tu es venu,

aujourd’hui,

t’installer, bien t’installer,

dans moi,

pour des voyages étranges.

 

T’avais des valises. Des tas de valises, toutes petites, toutes petites. Des valises minuscules. Y en avait beaucoup. Tu les as ouvertes, de temps en temps, plus tard…

Dans la chambre, sous mon crâne, où tu les avais posées, tu en as sorti ce souvenir où nous avions ri du temps aveugle qui court et ne se cogne jamais nulle part. Cet autre souvenir où l’objet le plus incontournable, le plus impossible à sortir de notre champ de vision, avait tout-à-coup disparu sans laisser de trace. Et un autre. Et un autre. Et ces souvenirs ont libéré des petits cocktails de fluides moteurs, tout petits. Et ces tout petits cocktails de fluides moteurs – minuscules, minuscules – ont poussé un geste depuis le dedans de moi. Un regard, une pensée, une émotion, une sensation. Ci et là, des éclosions de petites fêtes. Et je me mettais à faire avec toi.

Je parle au passé parce que je sais que c’est ça que tu feras et que, après, je me le raconterai, encore et encore. Je sais que c’est ça que tu feras… Ne sais ni précisément quoi ni quand. Te voilà maintenant transformé en alchimiste, complice ou farceur, et, demain, tu nous prendras par surprise. C’est sans doute, sans aucun doute. Tu vas

me bouter l’impulsion,

me porter à…

sortir d’une habitude, en prendre une,

prendre une décision, ou attendre le profit du moment propice.

Regarder autrement, partir ailleurs.

Quitter l’autoroute. Prendre la venelle hirsute, ou le tapis rouge.

Epingler ce détail, et un autre et un autre,

tenter quelque chose, oublier d’avoir peur.

Ou être prudent, parfois, un petit peu.

Je ne sais pas bien comment tu vas faire tout ça, vers qui, vers quoi tu vas me lancer.

Faire jaillir en moi une orchidée, une rose, ou le gratte-cul. Une colère au jasmin, une joie béate au caramel. Tu vas me berdiger le vlouge ou m’engrisoter l’emblure. On verra bien.

 

Avec toi dedans de nous, on imagine déjà

un autre étage,

une autre face,

une couleur nouvelle, un son bizarre,

à l’intérieur de nous

où, aujourd’hui,

t’as déménagé tes tics et tes frasques.

 

Tu es maintenant dans ma voix,

dans mes yeux, dans mes mains,

dans mes bras.

 

Dans mes bras.