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Laurence Vielle : « Valse pour ceux qui soignent »

Paroles et voix : Laurence Vielle

Musique et voix : Vincent Granger

 

LAURENCE

c’est une valse pour dire merci

à toi qui soignes qui accompagnes

porteur des êtres en déroute

merci à toi qui pour un temps

met de côté les êtres proches

pour te pencher sur les visages

des inconnus et les aimer

comme tu peux les soulager

 

refrain

c’est une valse pour ceux qui soignent

valse de ceux qui prennent soin

ceux qui caressent avec leurs yeux

ceux qui s’approchent avec leurs mains

 

des mains qui volent des mains qui touchent

des mains précises et des mains sève

des mains nervures des mains écorces

mains dernier lien des mains d’humain

 

LAURENCE

une valse pour toi oui

toi qui trimballes sans en mot dire

le grand vertige que tu traverses

visage masqué et coeur ouvert

cueilleuse de souffles en bout de course

héros d’un monde qui s’effiloche

tu tiens le fil de tant de vies

 

REFRAIN

c’est une valse pour ceux qui soignent

valse de ceux qui prennent soin

ceux qui caressent avec leurs yeux

ceux qui s’approchent avec leurs mots

 

mots qui rassurent et qui sourient

mots qui déplient mots qui expliquent

mots liens mots bleus mots mousse

mots bout de souffle des mots en douce

 

LAURENCE

c’est une valse valse oui valse

danse un peu danse danse

ce moment-ci il est pour toi

danse oui danse danse

danse les peines que tu avales

danse la joie d’être debout

danse l’effroi de tous ces jours

 

REFRAIN

c’est une valse pour ceux qui soignent

valse de ceux qui prennent soin

et qui ne comptent plus leur temps

pour donner tant et tant et tant

 

temps de soigner temps de laver

temps d’écouter temps de porter

temps de border de recueillir

temps de parler temps d’assoupir

 

LAURENCE

et demain quand tu marcheras

au macadam de nos cités

pour demander argent qui vaille

pour exercer en dignité

l’art de soigner

nous serons là pour t’épauler

avec slogans et banderoles

corps debout coeurs démasqués

merci

Caroline Lamarche : « Pour Xavier »

Pour Xavier, parti le 20 avril 2020.

 

Neige des hauts sommets

en voie d’effacement et qui

disparaîtra plus encore dans ce monde

perdu pour la neige, les grands bois, les chansons, tout ce qui

consolait Xavier dans le pays oublié

où la carte de son ciel, le chemin de ses songes,

l’avaient, à douleur, entraîné.

 

Neige des ermites, des purs esprits,

neige aux cristaux mathématiques,

manteau jeté sur l’arithmétique du vide,

toi que nous voyons fondre, neige qui, peut-être,

aspirais à ce départ sans retour.

 

Neige que nous n’avons pu protéger

de la montée du brouillard sombre

qui nous sépare des joies de l’enfance

et du royaume de l’aigle

toujours seul là-haut

avec son cri.

 

Neige, chiffre d’un hiver intraitable

dont nous craignions et adorions la dureté,

le dessin du noir sur le blanc,

le dessin du rien sur le tout.

 

Sois anachronique, neige, reviens !

Rends-nous nos randonnées joueuses

l’humour piquant des grands froids

et te toucher comme récompense.

Accompagne de ta douceur infinie,

en ce printemps cousu de vide,

Xavier, notre frère.

 

Afin que nous qui, malgré notre présence,

n’avons pu bondir là où le courage

agirait comme une flèche qui protège, aide et sauve,

nous acceptions que Xavier devienne

le passeur majestueux et grave,

qui nous mènera vers l’autre rive.

 

Carl Norac : « Lettre vive à Marcel Moreau »

Marcel Moreau fut de ces immenses écrivains qu’on ne pourra jamais résumer en une phrase ou même un long discours. Alors qu’il mourut du plus médiatique virus du siècle au début de ce mois d’avril 2020, on parla trop peu de la perte de son paysage en notre pays, qu’il soit France, Belgique, ailleurs. Voici une lettre qui se voudrait pour lui, au-delà des funérailles, comme un bouquet de fleurs.

 

 

Cher Marcel,

notre maison vacille depuis si longtemps

que nous la portons par le souffle, tu le sais,

les poètes ne respirent pas mieux que les autres,

ils ont dans la voix des cailloux, des embruns et du lierre,

mais ils soufflent sans rien éventer, ils soufflent,

non pas parce qu’ils connaissent du vent

une certaine façon de s’enfuir de son seuil,

non plus pour prétendre à l’envol sous un ricanement de mouettes

ou de passants, ni même pour chasser les nuages,

précisément, les poètes soufflent parce que la maison vacille.

La tienne était toujours ouverte, rouge, avec vin, viande, rires,

tu m’enseignais, avec un dictionnaire criblé de balles,

comment tuer ce que tu appelas

( dès la première lettre que tu m’envoyas )

« les poisons de l’ordre ».

Parmi les plombs, nous y cherchâmes un jour le mot « candeur »,

son sens caché, plus sulfureux que blanchi d’habitudes.

Tu semblais fumer par la barbe parfois, avec une moue si particulière

quand tu réfléchissais, telle une ponctuation dans l’espace.

Tu tirais souvent la langue entre deux phrases,

très brièvement, pas pour serpenter aux alentours des lèvres,

ni pour être cracheur d’encre en excuse de salive.

Brin de tabac, en certains cas,

mais bien plus, incandescente, moins invisible soudain,

la phrase sur le point de jaillir, la voilà

avec sa poudre de sens, sa chair de voix, ses copeaux encore.

Puis venait ton sourire pointu qui avait des façons de caresse.

Tu plongeais tes mains dans le langage

comme d’autres en la terre, dans une ruche,

dans le charbon ou les entrailles.

Mais avec toi, sur le papier ou la page des jours,

chaque silence avait aussi la volupté d’être brisé.

Tu savais ces façons d’arpenteur, d’équilibriste,

tu dirigeais un orchestre de saveurs, de senteurs,

pétales et épines parlaient de même tige,

et au plus noir luisaient effleurements, effloraisons plus qu’oraisons.

Moi, pourtant si large d’épaules, j’avais peine à être un peu ogre en ta présence.

Cependant, ton cœur sur la main, saignant comme il se doit,

était ce morceau de choix qui fait la grande littérature,

nerfs, tendons de lignes, battements et bien au-dessus, l’élévation.

Trois jours, deux nuits entières à Quimper, folle équipée, je me souviens,

nous avons refait le monde qui nous tournait le dos.

Et puis il y eut nos terrils où, en pensée, nous retournions souvent,

ces feux follets de jeux d’enfants sous les déchets de houille

en notre Borinage, ce noir de feu propice aux créatures, aux monstres les plus familiers.

Mon deuxième prénom est Marcel, personne ne le sait, sauf toi,

en honneur de mon grand-père,

mort d’une silicose, quelques années après ton arrivée

en nos paysages contrariés.

Nous parlions aussi de Duchamp, ce Marcel 1er , loin des Ubus qui nous gouvernent.

Ton rire revenait alors, ou ta colère, les deux gourmands de ne pas s’expliquer.

Balançant le souffle encore, tu savais sous quel angle,

vers quelle faille notre maison vacille,

toujours ton souffle était là, tel un volcan caché ou un secret de famille,

tu disais presqu’avec douleur que tu t’endormais avec le début d’une phrase,

puis que, maladie, l’autre rame de ce curieux transport t’attendait

à l’orée, à l’aube, te bousculait, jusqu’au point,

au premier chuchotement de la lumière ou de l’ombre.

Aujourd’hui, je t’écris avec mes lèvres cette missive,

je m’adresse à toi malgré ce foutu défaut dans l’air, mal nommé,

cette moins que rature qui t’enleva le souffle, la vie. Ce rapt.

La mort, pourtant, tu la laissais parfois souquer ferme,

tu en traduisais une écume, à distance.

Lorsqu’elle prétendait sortir de son suspens, faire route ou cible,

tu lui donnais le change, tu rapiéçais tes voiles, puis basta,

tu mangeais sur son dos la poignée de terre qu’elle te destinait

pour y semer des fleurs imprévisibles.

Sache que tes livres s’encrent vivants

chaque fois qu’on s’en empare.

Tout sauf suaire, ils sont carnes pour les yeux,

visages à l’espoir virulent.

Ils pactisent de beauté avec un infini de contrebande

en compagnie de femmes aimées, d’un ciel bien remué

comme les derniers dés dans une paume.

On y devine même cette maison dont nous parlions,

cette demeure qui vacille depuis si longtemps,

et ce matin, par le souffle de tes mots,

c’est encore toi qui la réinventes.

Lisette Lombé : « Cher J. »

Cher J.,

Il y en a du monde autour de toi, aujourd’hui !

D’abord tous ceux et toutes celles que tu viens de rejoindre et qui t’attendaient, bras ouverts, sur l’autre rive. Et puis, tous ceux et toutes celles qui restent de ce côté-ci, endeuillés, comme ta fille A.

Quel contraste entre la douceur de ces retrouvailles là-bas et la douleur de ta perte, ici !

Quel contraste entre la chaleur de ces bras-là et les distances insupportables imposées aux vivants depuis quelques semaines !

C’est pourtant la même tablée, la même tribu, la même respiration familiale, les mêmes racines…

Que les plus jeunes qui se demandent combien de fois un homme peut tomber et se relever dans une même vie, pensent très fort à toi !

Que les plus jeunes qui se demandent combien d’enfants et de petits-enfants un homme peut perdre sans devenir un mort-vivant, pensent très fort à toi !

Que les plus jeunes qui se demandent combien de temps un homme peut survivre à une épouse ayant quitté ce plan-ci de l’existence, pensent très fort à toi aussi!

Qu’ils gardent en mémoire l’amoureux de la terre, le fils d’agriculteur, l’arpenteur de petits et grands chemins.

Qu’ils gardent en mémoire le patriarche, le phare pour ses neufs enfants, le courageux ouvrier agricole, le J. B. debout et robuste.

Qu’ils effacent les 87 ans, qu’ils effacent les murs de la maison de repos, qu’ils effacent le mot confinement !

Qu’ils se convainquent que l’on peut jardiner sans jardin !

Qu’ils se convainquent que l’on ne meurt jamais seul lorsque nos proches sont les hôtes les plus précieux de notre cœur !

Et qu’ils murmurent en choeur « merci, merci » avec la même sincérité que toi, J., lorsque tu répétais « merci, merci ».

Soline de Laveleye : « Toi qu’embrasse la lumière »

Nous sommes ceux que la lumière côtoie

et que l’ombre talonne,

en migration, nous sommes

les passants d’une histoire qui trébuche.

 

Et le souffle en visite

dans les chambres du cœur

entre par la porte, sort par la fenêtre.

 

Tu as rejoint l’ouvert.

 

Il ne reste que le vent et les arbres

pour passer nos appels,

le silence tout autour

où ta voix s’est défaite.

 

Ce silence est une mer

où nous nous tenons tous,

les uns aux autres

nous tenons.

 

Les mains devant

pour la traversée,

il faudra remonter des brassées de sel,

chercher en aveugle le fil d’un rivage,

la branche d’une parole, l’ombre d’un signe,

un battement un grelot une source,

 

que la douleur allume un ciel

et nos constellations gardent trace de toi.

Jessy James LaFleur : « Ein Ort namens Ewigkeit »

 

Jenseits des Randes der Welt gibt es einen Raum, in dem sich Leere und Substanz sauber
überschneiden.
In einem rastlosen Schwebezustand bilden Zukunft und Vergangenheit eine endlose Schleife,
in der Zeichen bestehen, die niemand jemals gelesen hat,
Akkorde, die niemand jemals gehört hat.
Ein Nicht-Ort, der sich chaotisch ausbreitet und die schwersten Emotionen in sich vereint.
Ein Nicht-Ort an dem man sich findet, weil man sich woanders so schrecklich verloren fühlt.
Ein Nicht-Ort namens Trauer, wo man trauerweidend Wurzeln zu schlagen scheint und doch
verliert man den Boden unter den Füßen, weil du nicht länger unter uns weilst.

 

Wo bist du hin, wer hat dich davon getragen, warst du nicht eben noch hier?
Du hinterlässt eine Leere, die nichts zu füllen vermag, eine Schwere,
die jeden neuen Tag in Frage stellt.
Irgendwas läuft hier schief, irgendwas ist anders, ich fühle mich gefangen zwischen
Wunschvorstellungen und bitteren Tatsachen.
Mein Körper verliert sich in einem Beben, ich lös mich darin auf.
Verpackt in tausend Tränen fließen stillschweigend Schreie aus mir heraus.

 

Das ist zwangsläufig nicht unlebendig, denn jedes Leben ist endlich, aber die Gegenwart ohne
dich fühlt sich so schrecklich schleppend an.
Minuten, die sich zu Stunden dehnen, Tage die nicht mehr vergehen, gefangen in einem dunklen
Raum-Zeit-Kontinuum, summa summarum das Schlimmste, was uns Hinterbliebenen passieren
musste.

 

Denn jetzt ist da so viel Raum, so viel Raum Dinge in Worte zu fassen, die man so lange von sich
weggeschoben hat.
Man ertappt sich beim Festhalten an Erinnerungen, die langsam verblassen.
Man ertappt sich beim Loslassen, um Patz zu machen für neue Gedanken, während man nicht
aufhören kann zu vermissen.
Dich zu vermissen.
“Hallo, hörst du mich?”.

 

Aber wir arrangieren uns, weil wir es müssen, kommen an in der neuen Welt ohne dich,
die sich so schrecklich langsam dreht, das Zeit dehnbar scheint.
Zeit, die sich auflöst, weil man dich gehen lassen muss und du trotzdem bleibst.

 

Und genau das ist die Utopie,
dass wir nie wieder zusammenfinden werden an einem reellen Ort.
Weil da kein Ort mehr ist, an dem wir uns wiederfinden werden,
nur dieser Nicht-Ort gefüllt mit unendlichen vielen Ängsten und Hoffnungen.
Ein Nicht-Ort, den wir nicht länger aufrecht halten können.

 

Meine Tränen prallen auf den Boden, wie Regen auf Asphalt.
Aber wenn man die Augen zumacht, klingt der Regen wie Applaus, der von hier aus bis ins
Jenseits hallt.
Ein letzter Applaus für dich, das letzte Mal im Scheinwerferlicht, weil der letzte Vorhang fällt.
Da fliegst du nun dem Himmel entgegen und meine Hand, die dich hält,
aber nicht länger nach dir greifen kann.
Also lasse ich dich gehen, wünsche dir das Beste für deine letzte Reise, und flüstere ein leises
“Bis bald!”
Atme dich ein, um mich auszuatmen,
so tief das die Lungen brennen,
und sende eine Nachricht an mein Herz, weil ich weiß dass deine Nähe dort niemals endet.
In meiner Brust, meiner Seele so nah, nie weit entfernt,
Dort erreichen dich all meine Worte, die ich dir noch so gerne sagen wollte.
Denn jenseits des Randes der Welt gibt es einen Raum, in dem du mich ewig begleitest.
Ein Nicht-Ort, der dich auf ewig leben lässt.
Einmal wird alles ganz anders, aber meine Liebe hält dich fest.

Un endroit qui s’appelle éternité

Adaptation libre par Jessy James LaFleur

 

Au-delà du bord du monde il y a un espace,
où le vide et la substance se croisent parfaitement.
Dans un état de suspension agité,
l’avenir et le passé forment une boucle sans fin,
dans laquelle il y a des signes, que personne n’a jamais lus,
des accords que personne n’a jamais entendus.

 

Un non-lieu qui se propage de façon chaotique et combine les émotions les plus lourdes.
Un non-endroit où nous nous retrouvons emballés dans le vide,
car ailleurs nous nous sentons terriblement perdus.
Un non-lieu qui s’appelle deuil, enraciné dans la tristesse,
et pourtant la terre se dissout sous nos pieds,
parce que tu n’es plus avec nous.

 

Où es-tu allé?
Qui t’a emporté?
Tu étais ici, il y a quelques instants à peine.
Tu as laissé un vide immense, absolument rien ne peut le remplir,
une gravité qui remet en question chaque nouveau jour et la définition du mot vérité!

 

Quelque chose ne va pas, quelque chose est différent!
Je me sens incarcéré entre un vœu pieux et des faits torturant.
Quelque chose ne va pas, quelque chose est différent!
Mon corps se perd dans un tremblement de terre, je m’y dissous.
Emballé dans de milliers de larmes, seul un cri silencieux sort de mon cou.

 

Le moment n’est pas nécessairement inanimé,
car il sonne à chaque seconde la fin d’une vie,
mais le présent sans toi semble tellement lent.
Des minutes qui s’étirent en heures, des jours qui ne passent plus,
pris au piège dans un continuum espace-temps sombre,
le pire qui ait dû arriver aux survivants.

 

Tout d’un coup, il y a tellement d’espace, sans toi il reste tellement de place!
Et il faudrait des jours,
des semaines,
des mois peut-être pour passer au crible tous les vestiges du passé,
qui sont hébergés et protégés ici.
Les souvenirs qui s’estompent jusqu’à la disparition.

 

Nous lâchons prise et ouvrons-nous au silence intérieur,
pour faire place à de nouvelles choses.
Pourtant, le manque reste sans cesse,
tu nous manques tellement!
« Allo, est-ce que tu m’entends? »

 

Nous en arrivons à un arrangement provisoire,
parce que nous le devons.
Nous arrivons dans le nouveau monde sans toi,
un monde qui ne tourne plus,
le temps s’est arrêté.
J’suis enfin prête à te laisser partir…
…mais tu restes quand même.

 

Et c’est exactement ça, l’utopie;
Que nous ne nous retrouverons plus jamais dans un endroit réel.
Seulement dans ce non-lieu, rempli de peurs et d’espoirs infinis,
un non-lieu que nous ne pouvons plus maintenir.

 

Mes larmes tombent comme de la pluie sur l’asphalte.
Mais si tu fermes les yeux,
la pluie sonne comme des applaudissements qui résonnent d’ici à l’au-delà.
Un dernier applaudissement pour toi,
la dernière fois,
car le dernier rideau tombe.

 

Levant mes yeux vers le ciel,
je te vois t’envoler.
Lâche ma main, car je ne peux plus tenir la tienne.
Je te souhaite le meilleur pour ton dernier voyage,
et je murmure un doux « à plus tard!”.

 

Je t’inspire pour expirer ma douleur,
si profondément que mes poumons brûlent.
Et là j’envoie un message à mon cœur,
car dans cet endroit ta proximité ne se terminera jamais.
Dans ma poitrine, si près de mon âme, jamais très loin toi.
Là-dedans je trouve tous les mots que je voulais te dire,
que je n’avais jamais su auparavant.
Parce qu’au-delà du bord du monde,
il y a un espace dans lequel tu m’accompagneras pour toujours.

 

Un non-lieu qui te permet de vivre éternellement.

 

Un jour tout sera différent,
mais mon amour te tient…
…ton amour me rend vivant!

 

 

Béatrice Libert : « Pour la Clinique Notre-Dame de Grâce, à Gosselies »

Vous

 

Vous êtes comme l’arbre

Celui de notre enfance

Où nous avons grimpé

De branche en branche

Comme pour toucher la joie

 

Vous êtes comme le printemps

Qui sait la chanson du courage

Elle vous pousse dans le dos

Pour semer sous vos pas

Les graines de la guérison

 

Vous êtes comme le ruisseau

Qui caresse les berges

Nourrit chaque méandre

Purifie les moissons

Relayant la lumière

 

Vous êtes comme le blé

Levant des champs d’espoir

Debout face à la faux

Le blé qui tient promesse

Pour la fête du pain

 

Vous êtes comme le rocher

Assailli par les ressacs

Mais dont la force calme

Est le suprême élan

De l’éveil généreux

 

Vous êtes le lierre de la vie

Celui qui tient encore

Lorsque tout fait défaut

 

Timotéo Sergoï : « Pour Mme C. R. »

À M.

 

LOU,
Je t’écris d’un pays sans visage
Ou alors, c’est que j’ai oublié…
Il me reste cinq ou six faces à retenir. Et une à deviner.
Il y a Alexandre, tu le connais, ses frères Maxence et Rafaël.
Il y a Jean-Hugues, Grégoire et Clara.
Et puis celui qui va arriver.

 

LOU,
Je t’écris d’un miroir sans visage
Ou alors c’est que j’ai oublié…
Michel est avec moi, et Barbara aussi
Je les tiens entre ces bras que je n’ai plus
Il me tient dans ses mains qui ne me touchent plus
Ou alors je ne m’en souviens pas.

 

LOU,
Je ne sais plus s’il faut arroser la salade ou manger les orchidées
Nager dans l’évier ou boire la piscine
Attendre le lilas de Brel ou écouter chanter Michel
Il me dira des Je t’aime, et tu sais que j’aime bien ça.

 

LOU,
Je t’écris d’une maison sans visage
Ou alors c’est que j’ai oublié…
Tu es une femme, Lou, de celles qui peuvent faire des hommes, des enfants et de nouvelles femmes
Clara le sait déjà.
Il y a Maxence, tu le connais, ses frères Rafaël et Alexandre.
Il y a Grégoire, Clara et Jean-Hugues.
Et puis celui qui va arriver.

 

Tu le sais, les cheminées d’Ougrée se sont éteintes. La pipe de Cockerill n’a plus de tabac. Mon
père a usé là ses plus belles mains et j’y ai regardé longtemps le fleuve couler. Je veux rêver d’un
monde meilleur pour vous.

 

Le plus petit être de l’univers, plus petit qu’une souris, plus petit qu’une fourmi, plus petit qu’un
puceron et ses ennuis, m’ont emportée vers d’autres haut-fourneaux. Je veux dire où il fait chaud.
Je veux rêver pour vous de paix, de musique et d’oiseaux.
Michel est avec moi. Je l’ai dit déjà ? Je ne m’en souviens pas.

 

LOU,
je t’écris d’une mémoire sans visage.
Ou alors c’est que j’ai oublié…

 

Il me reste cinq ou six face s à retenir. Et une à deviner.

 

Il y a Rafaël, tu le connais, ses frères Alexandre et Maxence.
Il y a Clara, Grégoire et Jean-Hugues.
Et puis celui qui va arriver.

 

Je l’ai dit déjà ? Je ne m’en souviens pas.

 

LOU,
La vie est un coton collé cousu coloré
La mort est Grand Amour
Je peux nager ici, je peux nager entre les gouttes
Je peux courir aussi, je peux courir au tram 33
Je peux sauter, crier, aimer
Il y a Michel avec ses bras
Et Barbara comme elle est belle

 

LOU,
Je t’écris d’une chanson sans visage.

 

Je ne sais plus si je dois
Boire mes cheveux ou peigner le café
Dresser le pain ou couper la table
Beurrer mes mains ou laver la tartine

 

Mais il y a un visage dont je me souviens
C’est le tien, Lou, c’est le tien.

Jean-Luc Outers : « Le son de la terre »

 

 

Est-ce que la terre tourne sur elle-même en silence ? J’ai toujours eu le sentiment que sa rotation se faisait sans le moindre bruit. Je parle de sentiment car j’avoue n’avoir pas étudié la question. Sans doute que les astronomes ont, depuis longtemps du haut de leurs coupoles, tendu leurs grandes oreilles pour déceler dans ce mouvement un son même infime. Aujourd’hui que je vis dans le silence du confinement, délivré du tintamarre des voitures, du grondement des avions, du sifflement des trains, du crépitement des marteaux-piqueurs, j’ai enfin trouvé la réponse. J’ai entendu ce son imperceptible surgissant de loin, pareil à celui des ailes d’un moulin propulsées par le vent. Il faudrait inventer un mot pour qualifier ce son car ceux qui existent (bruit, brouhaha, détonation, frémissement, bruissement, que sais-je encore ?) ne peuvent rendre compte de sa dimension cosmique. On se croyait enfermé et on entend enfin le son de l’univers.

 

Penché à ma fenêtre je ne me lasse pas de l’écouter. Ceux qui vénèrent le silence absolu doivent avoir de mauvaises oreilles. Comme un début de surdité. Car derrière ce silence, il y a, surgissant des confins, un bruit, comme une rumeur, celle de la terre qui nous parle. « Allo, ici la terre. Vous m’entendez ? » Cette voix, si on ce concentre un peu, oui, on la reçoit mais il suffit d’un rien, du vent dans les arbres, des pleurs d’un enfant, pour qu’elle s’estompe et disparaisse. Le gazouillis des oiseaux peut lui aussi nous étourdir surtout lorsqu’il fête le retour de l’air pur qu’on pensait disparu. Sans parler du vol des canards retrouvant l’eau des fleuves devenue claire. Les sirènes des ambulances déchirant le jour ou la nuit abolissent tous les sons qui prétendraient rivaliser avec elles. A ce moment on n’entend plus qu’elles qui nous parlent d’urgences, de vie et de mort. Après leur passage, se succèdent les chiffres qu’égrène la voix neutre de la radio : nombre d’hospitalisés, nombre de cas infectés, nombre de personnes en réanimation, nombre de morts.

 

Mais quand revient ce que les sourds appellent le grand vide du silence, il se comble aussitôt par ce son inédit, qui est celui de la terre dans son inlassable rotation transformant la lumière en crépuscule qui lentement s’évanouit dans la nuit et confirmant que le temps que l’on pensait à l’arrêt n’a pas un instant cessé de tourner.

 

La terre, à force d’y habiter, on l’avait oubliée. On avait sans y penser saccagé ses forêts, mutilé ses animaux, abîmé ses champs, pollué ses rivières et ses mers. Et voilà que soudain, à la faveur d’une molécule invisible, la terre se rappelle à nous, au temps lointain où la nature se laissait contempler dans son infinie sauvagerie, où point besoin n’était d’escalader des cimes pour respirer l’air pur ou atteindre des glaciers pour découvrir une eau limpide. La terre réinvente la mémoire nous pressant de nous rappeler ce que nous n’avons pas connu. Elle nous dit et redit cette évidence qu’elle était là bien avant nous, point minuscule se mouvant dans l’univers. Elle a sur les êtres humains que nous sommes bien plus que quelques longueurs d’avance dans la conscience de ce qui fut, elle qui a résisté aux glaciations, aux secousses telluriques, elle qui a vu son propre sol s’ouvrir, se fracturer, exploser dans les vapeurs incandescentes. La terre, quoi qu’il arrive, survivra à ses habitants. C’est sans doute cette certitude qui nous empêche de dormir la nuit. Elle continuera de tourner quand bien même il n’y aurait plus personne penché à sa fenêtre pour écouter le son lointain de sa rotation.

Jean-Luc Outers

 

Aurélien Dony : « Pour Tico »

Hommage à Tico, 86 ans, par Aurélien Dony, poète de 27 ans… Un partage.

 

Comme c’est étrange
Tout ce silence qui répond
A l’appel de Tico,

 

Il nous faudra du temps
Pour calmer nos sanglots
Et soigner nos douleurs

 

Tu ne nous aurais pas
Laissés le cœur en miette
Toi tant soucieux des autres
A allumer la nuit
Pour s’y sentir moins seul
A tendre main ouverte
A qui cherchait de l’aide

 

Tu nous laisses en partage
Cette ouverture à l’autre
Cette oreille attentive
Pour chaque homme
Pour chaque femme
Pour chaque enfant

 

Comme tu vas manquer

 

Toi qui t’étais fait fort
De servir ton pays
De donner tout ton cœur
Aux couleurs du drapeau
Tu nous laisses en partage
Tes yeux sur la Semois
Ton cœur comme boussole
Pour retrouver la sente
Tu nous laisses les arbres et tous les chants d’oiseaux

 

Tu nous laisses ta voix
Fragile comme un murmure
Toi qu’il fallait comprendre
Au détour d’un sourire ou d’un geste,
Toi qui fuyais le mot
Pour l’éclat d’un regard

 

Tu nous as tant laissé, cher papa, cher ami
Grand-père aux mains tranquilles,
Tant de toi près de nous
Que nous pleurons ce jour
Pour mieux porter demain
Ton souvenir à nos lèvres

 

Et briser le silence
En appelant Tico
Aux portes de l’absence.