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Jérémie Tholomé : « On laisse »

On le sait

C’est écrit dès la première page :

 

Un jour

On boucle la valise

Et on rend les clés

Mais s’en va-t-on jamais vraiment ?

 

On laisse

Quelques mots

Une liste de courses froissée

Un parfum d’adoucissant

Une voix sur le répondeur

 

On laisse

Quelques points de suspension

Des sourires sur des photos à développer

Des mystères à résoudre ou à entretenir

Des histoires à partager autour du café

 

On le sait et pourtant

On voudrait l’oublier au fil des pages :

 

Un jour

On boucle la valise

Et on prend l’escalier

Mais quand on y pense

 

S’en va-t-on jamais vraiment ?

Pascale Toussaint : « À Evelyne »

À Evelyne

Roses de la vie blanches roses rouges

Roses de l’amour roses de la mort

Roses de la vie que tu n’as pas eu

Le temps de cueillir roses de l’amour

Tu les redoutais tu les espérais

Ces dates fleuries ces jours de bouquet

Où les autres toutes les autres femmes

Savent qu’on les aime et pourront aimer

La vie et l’amour roses de la vie

Roses de l’amour rouges blanches roses

Roses de la mort roses qu’on te jette

Toi qui as compté jusques à soixante

Soixante printemps ou soixante hivers

On jette sur toi nos regards moroses

Ta vie sans vie fut sans fleurs sans couleurs

On jette sur toi dans ce trou béant

Toi qu’on ne voit plus toi qui es partie

On jette des fleurs roses de la vie

Qui ne reverront jamais plus le ciel

On jette en ce trou des brassées de roses

Roses de la vie roses rouges blanches

Roses de la mort roses de l’amour

Béatrice Libert : « Paroles du soir »

Ami, sache-le, tu as beau être parti de l’autre côté de la clarté, nous te voyons encore tel que tu as vécu, et ta voix nous revient, tamisant nos échanges. Il suffit de l’éclair d’un mot, de l’abandon d’un geste, de la musique d’une lumière. Notre souvenir est ce pays où tu demeures présent.

Avec quelle encre écrirons-nous ta mort ? Sur quel papier ? Et comment mesurer tous les dons que tu nous as faits ? Désormais, nos vies abritent ton départ, inscrit dans notre chair comme une cicatrice. Nous sommes sans voix, amputés de nos liens. Quel ciel ramènera le jour ? Quel oiseau nous rendra la force de l’envol ?

Et te voilà figé dans la chambre des regrets que nos paroles veulent encore éclairer. Le ciel attend à l’extérieur comme un vieux chien craignant le froid.

L’adieu est une conjugaison très lente.

Valérie Carbonnelle : « Toi qui as aimé »

Ami.e

Ta tâche est accomplie

C’est le repos

 

Voici l’inconnu

Tel un nouveau paysage

Une main tendue

Ton dernier voyage

 

Garde avec toi

Le chant des oiseaux

Et le souffle du vent

Presse en toi

Le feu qui crépite

Et le rire des enfants

 

Emmène avec toi

Le goût du pain

Et les pas sur le chemin

N’oublie pas

Que ton cœur aima

Hume en toi

Les derniers baisers

 

Tu vas vers la lumière

Telle une plume

Tu danseras

Vers l’au-delà

 

Ami.e

Toi qui as aimé

Belle traversée

Thierry-Pierre Clément : « Notre amour est avec toi »

merci

merci pour ton amour donné

ta vie

bougie fragile soufflée par le vent

 

flamme pourtant du même feu

que le puissant soleil

il n’épuise pas sa chaleur

ni l’éclat blanc de sa lumière

 

va maintenant

va

puisqu’il faut bien partir

et nous laisser sur cette rive

 

mais au-dessus de ta barque

qui traverse le fleuve

un oiseau blanc perce le ciel

et montre le chemin

 

il porte sur ses ailes

ce feu qui ne s’éteint pas

va maintenant

va en paix

 

notre amour est avec toi

Perrine Estienne : « Simon »

Simon

 

Salut Simon,
De ton histoire, on m’a dit l’humour et l’amitié, la détresse et la maladresse aussi, le goût des
récits, du dessin…
De ta vie, on m’a raconté
Bali, rugby, Nigeria, manga

 

Manga… mot japonais signifiant esquisse malhabile, dessin au trait libre ;
Se lit autrement, se découvre par la fin.

 

Salut Simon,
De droite à gauche,
Libre de regarder ailleurs,
D’entraîner le rire, le toucher, la vie.

 

Tourne une page,
Avec incompréhension, tristesse.

 

Tourne encore, avec toi cette fois,
Trouve amour et réconfort,
Quel que soit le sens de lecture.

 

Philippe, Michel, Thomas, Julien et Joy
Raconte-nous Simon, et dis-leurs :

 

De droite à gauche, de haut en bas,
Entre texte et image,
Rappelle-nous à toi.

 

Salut Simon,
Salut… « sauvé », « heureux »
Et si fin pouvait aussi être début ?
Salut,
De joie et d’amour, dont tu proviens
Et au-delà,
Simon, salut.

À Simon, sa famille et ses proches.

Laurence Vielle et Carl Norac : « Où que le coeur se pose »

Pour Martine et en amitié avec Ludivine

 

Nous sommes à portée d’un souffle,

ce seul souffle qui nous sépare devient un monde.

Nous sommes à portée d’un battement,

ce battement, où que le cœur se pose,

en son absence soudaine devient un monde.

Mais j’étais à tes côtés, souffle et battement,

ciel dans la main, partage de chaleur.

Tu as franchi le seuil, j’étais là

comme tu le fus, toi qui vivais pour les autres.

La nuit ne sera jamais une couverture

pour celle qui la drape seulement,

par les mots, de transparence.

Sans pathos, ni ostentation,

nous voilà,

simplement, comme tu l’aimais :

être au cœur des choses,

avec cette façon d’être au jour

à la fois discrète et intense.

Avant de rejoindre la vague, tu as dit :

« J’ai fait tout ce que je voulais faire ».

Tu n’es plus là, mais nous sommes.

Au bout du souffle, du battement,

où que le cœur se pose.

Nous sommes à portée d’une main,

le ciel de ta main, ta main qui moissonnait,

pour toujours au cœur de la mienne

les enfants que tu aidais sont au bout de mes lèvres

et je contemple l’horizon pleine de ton regard

Nous regardons le monde

Je compte le temps qui file

le temps qui nous sépare qui s’égrène et se compte

le temps qui nous rapproche

car à l’horizon de la vague

nous sommes unies je le sais

tu es la fleur du bouquet de ce jour

et la lumière de ce ciel,

l’air très doux nous caresse.

Nous sommes à portée d’un souffle

ce seul souffle qui nous sépare devient un monde.

Et c’est le nôtre, maman, pour toujours notre monde,

offert au monde entier.

Tu es à mes côtés

souffle et battement, transparence,

ciel dans ma main, partage de chaleur.

Toi qui as tant donné,

ton don tant que je vis

ne cessera de croître.

Maman, merci.

Carl Norac : « Fleurs de funérailles »

Poème écrit dans le cadre du projet « Fleurs de funérailles/Gedichtenkrans » initié par Carl Norac et coordonné par les partenaires du projet Poète national (nous vous invitons à découvrir le projet et les poèmes).

 

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Aliette Griz : « Tout jour là »

Pour les parents de F.

 

Chaque seconde, chaque souffle est une victoire

Qu’on ne mesure pas

Chaque clin d’œil

Un ange comète passe

S’achève la trajectoire

D’une vie légère

À porter

Une vie

Cachée dans l’éternité

La perfection d’un espoir

 

Qui décide qui peut vivre ?

Chacun.e donne tant de secondes

Chaque jour élastique

Charge pour des mois et des années

Chacun.e pressé.e de vivre

D’accumuler

 

Des étapes dans les bouches

Une naissance

Et l’amour possible

La vie prénommée

Aimer

Chacun des jours ensemble

Une unique aventure

 

Aimer

Toutes les secondes illimitées

Aimer celui qui vient

Aimer celui qui part

Et dans l’intervalle accordé

S’assurer

Qu’il ne sera pas oublié

 

Il y a des rencontres éphémères

Des vies à longue-vue

Des vies microscopes

Cadeaux trop vite disparus

Douleur trop vite apparue

Quelque chose d’inaudible

À dire

 

Chercher des mots

Les yeux fermés

Des mots pour embaumer

Une comète précieuse qu’il faut apprendre

À laisser repartir

Alors qu’elle venait juste

D’arriver.

Jacques Sojcher : « Hommage à Marcel Moreau »

Pour Hélène

 

Marcel, tu es le fils de Dionysos.

Tes livres emportent, comme dit Nietzsche,

« au-delà de tous les livres ».

Tu es soulevé, soûlé. L’instinct chez toi

est devenu rythme. C’est ta vocation.

Tu es voué aux mots qui dansent.

Ton Verbe libère de la grammaire,

de tous les bons usages.

Une respiration plus large ouvre ton corps

à une messe d’amour.

Tu célèbres le Sacre de la femme,

de l’infante roumaine,

de la reine de la nuit  de chair.

Tu affoles les sens,

tu ouvres le sens à l’insensé.

Tu dévores tout ce que tu vois,

entend, goûte, sent.

Tu fais de la vie une fête

pour nous pousser à quitter

tout ce qui rapetisse et dénature la nature.

Tu invites à une Cène,

où coulera le vin sans mesure.

Tu reçois tes amis, que tu régales d’une daube

que tu  as préparée toute  la journée.

Tu es un ogre doux.

J’entends ton rire à ces mots.

ta vois éraillée dans la fumée de ton cigarillo.

Demain,tu te lèveras de grand matin

pour écrire en escaladant la page

pour aller au – delà de toi.

C’est ta fruition ordinaire

( ce mot trouvé dans le vieux dictionnaire Furetière)

dont tu  as fait ta morale des épicentres.

Je t’ai rencontré un jour avec Julie ou la dissolution,

à la presque moitié se ma vie.

J’ai donné à ma fille ce prénom : Julie.

Tu es devenu son parrain

Toujours plus, tu vois, de ma famille.

Tu es le plus vivant des vivants.

Je t’aime.