Ne t’emballe pas épidémie
vas-y doucement
il n’est ici ni vaccin
ni remède
vas-y doucement, fléau
Nous, les vivants confinés
sur cette terre
journaliers de l’éternité provisoire
nous n’avons que les poèmes
– soupirs des mots –
que nous rédigeons
dans l’affliction du deuil
contre le désespoir
et l’effacement
À tout instant nous nous séparons
de cadavres stérilisés
de cercueils sans cortège
ni cérémonies funèbres
tandis que le virus mène
le monde consterné
vers un enfer invisible
vers un brasier sans fumée
Vous qui fuyez
la malédiction de la couronne
tribus de déguisés
masqués de mille couleurs
rentrez dans vos demeures
et mettez le verrou
recroquevillez-vous
tels des escargots
empêchés d’avancer
Distrayez-vous des menues inquiétudes
pour ce qui adviendra
et entrainez-vous au manque
Le temps n’est plus aux facéties
Le temps est à l’isolement
Retourne à ta caverne
humain
retourne à ton âge de confinement
retourne à ton terrier moderne
car le soleil d’avril est fallacieux
et dehors le printemps éclot
les bourgeons de la mort
Rentre et prends conscience
que l’univers tourne sans toi
et que l’enfer
n’est pas forcement
les autres
Tranquillise-toi, humanité,
la planète est fermée pour restauration
la vie un temps s’éclipsera
tel un soleil terni
aux rayons par la nue engloutis
Laissons s’assoupir le mystère de l’existence
dans le tiroir des secrets
et retranchons-nous
dans notre exil domestique
pour suivre ce scénario funèbre
jusqu’à ce que la terre reprenne son souffle
restons tranquilles pour un moment
peut-être long
et sourions, conciliants,
face à une éternité en poussière
Les lexiques nous égarent
Enchevêtrements de mots
le microscopique à l’essence des choses se mêle
nos chemins divergent
mais le mal se propage
sans différence aucune
entre indigent
sans toit
et tel prince
en son palais
Le temps n’est plus de murmurer
le temps n’est plus de se frôler
voici le temps de s’éloigner
Reprenons la mesure
de chacun de nos gestes
et du repos
telle une poignée d’obsédés
jouant à cache-cache
avec des micro-organismes aveugles
Le monde avance
les membres amorphes
les lèvres sèches
Les sentiments tuent
qu’on évite l’étreinte
qu’on se garde des baisers
car cet amour,
humain sentimental,
comme la guerre, est ruse
Le monde avance
bardé de ses conquêtes en éprouvettes
et des prophéties de microscope
lourd de ses guerres
de ses crimes
et des abjections du siècle
le monde avance vers son destin,
drapeaux en berne,
tandis qu’en sa débauche
le fléau sur les routes se vautre
et dévaste la Terre
sans un missile
sans un char
L’épidémie lance à la volée
ses couronnes mortuaires
dans un inquiétant et juste partage
pour que le berger soit au troupeau égal
de même l’auguste lignage
à la plus humble lignée
la religion à la secte
le royaume de chimère
à la république bananière
Nous nous installerons tous
dans notre lâcheté naturelle
et nous nous efforcerons à une vie inerte
sans funérailles, sans noces,
nous nous efforcerons au confinement
pour consigner jusqu’au souffle dernier
le râle de la terre,
éructant les déchets
nous lèverons le regard vers les cieux
vidés de leurs oiseaux d’acier
et de l’oxyde de la civilisation
Ô contamination rampante
Laisse-nous du temps
pour faire la course avec la fin
vers un indéchiffrable destin
face à face avec l’invisible
avec un balbutiement de soldat vaincu
recrachant ses derniers bouts de rêves
sur la terre de vainqueurs barbares
nous crions : doucement Covid
doucement le couronné
il n’est ni vaccin
ni remède
mais seules, des élégies
pour dire adieu à nos aimés
les déclamant
ainsi
de loin.
Bruxelles, 5 avril 2020
Traduit de l’arabe par Mohamed Khmassi et Catherine Charruau