Troisième Poème National de Carl Norac

« Dans le cadre de l’action « Fleurs de funérailles », les échanges que j’ai eus avec la famille mettaient en lumière la sensation que les morts sont aujourd’hui des chiffres. Paradoxalement, alors qu’on n’a jamais autant parlé d’une maladie,qu’elle occupe toutes les pensées et les médias, celles et ceux qui en sont victimes semblent rendus plus anonymes, une statistique chassant celle de la veille. »

 

Ce chemin-là

 

Sur ce chemin-là, les morts sont devenus des chiffres.

Tu as appris la biologie, les lois du monde le plus immédiat.

Tu connais même des mots obscurs et anciens pour parler du soleil.

Cependant, tu ne vois plus ces morts qui échappent à notre regard.

Alors, comme un sursaut en ton confinement,

tes pensées vont leur propre sentier, libres,

tu aspires à ce que se dessine au moins un visage,

une main peut-être fermée, mais avec des lignes franches.

Est-il encore humain l’homme-chiffre, droit comme un 1,

2 pour tomber moins vide ensemble, courbé comme 3,

assis en 4, fuyant en 5, cœur à l’envers 6,

puis 7 rigide, en 8 pour une dernière danse,

redressé fier en 9 avant de tomber ?

Peut-on encore lui rappeler avant qu’il ne repose

la chanson désobéissante de son enfance ?

Ou lui dire comme ça, sur ce chemin-là :

« Tu as combattu quelques invisibles, ri, aimé, persiflé,

envoyé promener, conclu, protesté, désarmé,

tu as heureusement fait des folies de ton sort,

tu t’es trompé, tu as donné raison ou tort,

tes pas t’ont emmené parfois derrière le temps.

Alors Amie, Ami, même illusoires, si éphémères,

que ces quelques lignes t’enlèvent un instant

de la misère des ombres et des nombres.

Ici n’est pas litanie, ni fol espoir,

mais que la nuit te soit douce

comme une aube arrivée un peu tard :

qui que tu sois, qu’on t’aie tenu ou pas la main,

tu deviens plus que jamais ce chemin.

 

 

Manza : « Mon monument, échos d’héritage »

à ma mère, Bentaleb Fadila 04.11.20 

Repose en paix ma Reine. 

 

Enfance vers une errance,

sécheresse historique, terres arides,

besoin de délivrances,

parcourir des centaines de kilomètres,

quitter son village natal pour survivre

ou refuser de disparaître,

rassemblements de familles entières

vers l’inconnu d’une ville

où la vie nous deviendrait un peu plus tranquille,

à pieds de Al Houceima à Tétouan,

faire en sorte que continue l’héritage du sang,

laisser derrière soi nos souvenirs de laboureurs,

trouver un coin de paix

où, après les périples, un peu de repos, un peu de bonheur

mais on a rien sans rien alors les bas, on les prend comme des âmes sœurs,

sans courber l’échine

car on a été éduqué dans le code de l’honneur

 

Nos mères et pères tantôt unis, tantôt divisés, sales histoires de biens,

de dettes et de « qui va t’épouser ? »

Plus rien à laver, le linge sale, c’est l’infamie !

Querelles ancestrales,

mutilant toute une famille,

jusqu’à aujourd’hui ruminer sa rancœur,

se sentir abusé, trop souvent trahi comme humilié

et à part un marabout plus personne pour communiquer,

traverser les enfers des mensonges,  le cœur scié à en chier,

quand un père fait tous les choix même de toujours tout décider,

même dans le mauvais, tire les ficelles,

nous livrant à destins de polichinelles!

Eduquer dans les traditions berbères,

à la guerre comme à la guerre!

 

La paix? On ne la trouvera qu’une fois poussières…

Reste pour s’évader: le souvenir des berceuses « Lala Bouya »

de nos mères, entendre l’appel à la prière

résonner dans le silence de nos galères

mais la famille c’est la famille,

on pardonne même si on n’oublie pas,

parce que rifains, nous sommes, au Rif, on reviendra…

si on s’en va c’est pour mieux y revenir

dans la peine ou dans la joie

comme le soleil au ciel, on lui appartiendra…

Fin

Claude Donnay : « Fleurs de funérailles »

Tu as bouclé ton sac

Appelé par la route

Par le vent qui lève dans les maïs

Tu suis ton chemin

Dans le silence d’une montagne

Que tu dessines pour nous

D’un geste léger

Au revoir, nous dit ta main

 

Tu t’enfonces dans les nuages

Tel un oiseau en transhumance

L’horizon dans la tête

Et nos yeux à tous – boussoles d’amour –

Pour te guider

Quand la pente sera trop raide

 

Tu pars

Pour mieux revenir dans nos cœurs

Au hasard d’un matin rose

Ou d’un soir d’étoiles à cueillir

Rien ne s’arrête

Surtout pas la vie

 

Tu ouvriras ton sac

Sur une pierre tiède

Avec un drap de ciel bleu

Tu ouvriras ton sac

Tranquille

Pour casser la croûte du jour

En guettant notre arrivée

Nous, les lents, les escargots du temps

Les flâneurs, les trainards

Toujours en retard

Tu nous connais si bien

 

Tu nous attendras

Assis sur ta pierre chaude

Sans impatience

Sans inquiétude

Tranquille

Souriant de nous regarder cheminer

Sur ton sentier

Juste quelques lacets plus bas

Tu nous attendras

En caressant du doigt

Le drap de ciel bleu

Rien ne s’arrête, nous dis-tu

Surtout pas la vie

 

14 novembre 2020

Jérémie Tholomé : « On laisse »

On le sait

C’est écrit dès la première page :

 

Un jour

On boucle la valise

Et on rend les clés

Mais s’en va-t-on jamais vraiment ?

 

On laisse

Quelques mots

Une liste de courses froissée

Un parfum d’adoucissant

Une voix sur le répondeur

 

On laisse

Quelques points de suspension

Des sourires sur des photos à développer

Des mystères à résoudre ou à entretenir

Des histoires à partager autour du café

 

On le sait et pourtant

On voudrait l’oublier au fil des pages :

 

Un jour

On boucle la valise

Et on prend l’escalier

Mais quand on y pense

 

S’en va-t-on jamais vraiment ?

Pascale Toussaint : « À Evelyne »

À Evelyne

Roses de la vie blanches roses rouges

Roses de l’amour roses de la mort

Roses de la vie que tu n’as pas eu

Le temps de cueillir roses de l’amour

Tu les redoutais tu les espérais

Ces dates fleuries ces jours de bouquet

Où les autres toutes les autres femmes

Savent qu’on les aime et pourront aimer

La vie et l’amour roses de la vie

Roses de l’amour rouges blanches roses

Roses de la mort roses qu’on te jette

Toi qui as compté jusques à soixante

Soixante printemps ou soixante hivers

On jette sur toi nos regards moroses

Ta vie sans vie fut sans fleurs sans couleurs

On jette sur toi dans ce trou béant

Toi qu’on ne voit plus toi qui es partie

On jette des fleurs roses de la vie

Qui ne reverront jamais plus le ciel

On jette en ce trou des brassées de roses

Roses de la vie roses rouges blanches

Roses de la mort roses de l’amour

Béatrice Libert : « Paroles du soir »

Ami, sache-le, tu as beau être parti de l’autre côté de la clarté, nous te voyons encore tel que tu as vécu, et ta voix nous revient, tamisant nos échanges. Il suffit de l’éclair d’un mot, de l’abandon d’un geste, de la musique d’une lumière. Notre souvenir est ce pays où tu demeures présent.

Avec quelle encre écrirons-nous ta mort ? Sur quel papier ? Et comment mesurer tous les dons que tu nous as faits ? Désormais, nos vies abritent ton départ, inscrit dans notre chair comme une cicatrice. Nous sommes sans voix, amputés de nos liens. Quel ciel ramènera le jour ? Quel oiseau nous rendra la force de l’envol ?

Et te voilà figé dans la chambre des regrets que nos paroles veulent encore éclairer. Le ciel attend à l’extérieur comme un vieux chien craignant le froid.

L’adieu est une conjugaison très lente.

Valérie Carbonnelle : « Toi qui as aimé »

Ami.e

Ta tâche est accomplie

C’est le repos

 

Voici l’inconnu

Tel un nouveau paysage

Une main tendue

Ton dernier voyage

 

Garde avec toi

Le chant des oiseaux

Et le souffle du vent

Presse en toi

Le feu qui crépite

Et le rire des enfants

 

Emmène avec toi

Le goût du pain

Et les pas sur le chemin

N’oublie pas

Que ton cœur aima

Hume en toi

Les derniers baisers

 

Tu vas vers la lumière

Telle une plume

Tu danseras

Vers l’au-delà

 

Ami.e

Toi qui as aimé

Belle traversée

Thierry-Pierre Clément : « Notre amour est avec toi »

merci

merci pour ton amour donné

ta vie

bougie fragile soufflée par le vent

 

flamme pourtant du même feu

que le puissant soleil

il n’épuise pas sa chaleur

ni l’éclat blanc de sa lumière

 

va maintenant

va

puisqu’il faut bien partir

et nous laisser sur cette rive

 

mais au-dessus de ta barque

qui traverse le fleuve

un oiseau blanc perce le ciel

et montre le chemin

 

il porte sur ses ailes

ce feu qui ne s’éteint pas

va maintenant

va en paix

 

notre amour est avec toi

Perrine Estienne : « Simon »

Simon

 

Salut Simon,
De ton histoire, on m’a dit l’humour et l’amitié, la détresse et la maladresse aussi, le goût des
récits, du dessin…
De ta vie, on m’a raconté
Bali, rugby, Nigeria, manga

 

Manga… mot japonais signifiant esquisse malhabile, dessin au trait libre ;
Se lit autrement, se découvre par la fin.

 

Salut Simon,
De droite à gauche,
Libre de regarder ailleurs,
D’entraîner le rire, le toucher, la vie.

 

Tourne une page,
Avec incompréhension, tristesse.

 

Tourne encore, avec toi cette fois,
Trouve amour et réconfort,
Quel que soit le sens de lecture.

 

Philippe, Michel, Thomas, Julien et Joy
Raconte-nous Simon, et dis-leurs :

 

De droite à gauche, de haut en bas,
Entre texte et image,
Rappelle-nous à toi.

 

Salut Simon,
Salut… « sauvé », « heureux »
Et si fin pouvait aussi être début ?
Salut,
De joie et d’amour, dont tu proviens
Et au-delà,
Simon, salut.

À Simon, sa famille et ses proches.

Laurence Vielle et Carl Norac : « Où que le coeur se pose »

Pour Martine et en amitié avec Ludivine

 

Nous sommes à portée d’un souffle,

ce seul souffle qui nous sépare devient un monde.

Nous sommes à portée d’un battement,

ce battement, où que le cœur se pose,

en son absence soudaine devient un monde.

Mais j’étais à tes côtés, souffle et battement,

ciel dans la main, partage de chaleur.

Tu as franchi le seuil, j’étais là

comme tu le fus, toi qui vivais pour les autres.

La nuit ne sera jamais une couverture

pour celle qui la drape seulement,

par les mots, de transparence.

Sans pathos, ni ostentation,

nous voilà,

simplement, comme tu l’aimais :

être au cœur des choses,

avec cette façon d’être au jour

à la fois discrète et intense.

Avant de rejoindre la vague, tu as dit :

« J’ai fait tout ce que je voulais faire ».

Tu n’es plus là, mais nous sommes.

Au bout du souffle, du battement,

où que le cœur se pose.

Nous sommes à portée d’une main,

le ciel de ta main, ta main qui moissonnait,

pour toujours au cœur de la mienne

les enfants que tu aidais sont au bout de mes lèvres

et je contemple l’horizon pleine de ton regard

Nous regardons le monde

Je compte le temps qui file

le temps qui nous sépare qui s’égrène et se compte

le temps qui nous rapproche

car à l’horizon de la vague

nous sommes unies je le sais

tu es la fleur du bouquet de ce jour

et la lumière de ce ciel,

l’air très doux nous caresse.

Nous sommes à portée d’un souffle

ce seul souffle qui nous sépare devient un monde.

Et c’est le nôtre, maman, pour toujours notre monde,

offert au monde entier.

Tu es à mes côtés

souffle et battement, transparence,

ciel dans ma main, partage de chaleur.

Toi qui as tant donné,

ton don tant que je vis

ne cessera de croître.

Maman, merci.