Bonne nébuleuse !
Tes yeux lancent un dernier regard
– et puis c’est fini
Tu décolles d’ici pour de bon
sur ce vol in extremis
via brume et brouillard
direction la Grande Ourse
– ou à peu près
Personne pour retrouver ta trace
À tout cela, quel sens ?
Personne pour t’enterrer
Tu prenais déjà la tangente
depuis pas mal de temps
Où que tu gravites en orbite désormais
Aucun télescope, aucune station terrestre
Même à très très grande portée
Pour détecter la non-position de ton désêtre
Seul ce corps
Qui te ressemble vaguement
Pour quémander un contact
Et enfoncer le couteau
Plus profond encore
Dans la terre
Traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron
Celui qui part emporte avec lui de larges fenêtres étoilées
Celui qui reste garde les doigts sur la poignée
Celui qui part emporte la clef des miroirs, des forêts profondes et des océans bleus
Celui qui reste fouille les poches sous ses yeux
Celui qui part était extraordinaire
Celui qui reste prépare ses valises, visite le jardin, joue avec les enfants,
Il pose sur la table un prénom disparu
Et retourne aux cuisines, les mains lourdes de chair
Celui qui part a pris toutes les langues, les joues, le coeur et le soleil
Celui qui reste compte sur ses orteils
Celui qui part a remercié les anges, les infirmières reines de courage,
les médecins cernés sous les néons, le personnel soignant,
les soigneurs personnels
Celui qui reste doit le dire. Et remercier chacun d’être toujours vivant
Celui qui part sourit déjà. Sa souffrance se cicatrise
Celui qui reste l’a compris. Ca n’allège pas les valises.
Celui qui part a laissé sur l’établi quelques écrits, quelques photos,
Et le goût de ses baisers, la colline de ses mains, l’horizon de ses yeux
Celui qui reste les a rangés dans une boîte en ébène précieux
Voilà, se dit celui qui reste,
Un microbe a fermé le rideau lourd des orages et des printemps.
Un être plus petit qu’une puce a creusé les cimetières.
Nous resterons debout pour y planter de la lumière.
Un supplément bagage
De quoi avez-vous besoin pour ce voyage ?
Je vous prépare une valise plus légère que votre âme
Vingt et un grammes autorisés
J’y glisse des baisers
Les miens et ceux des vôtres
J’y plie des hiers qui donnent envie
De te tutoyer
Si vous le voulez bien
De t’entourer sans limite
Pour t’écrire des adieux
Faire famille
Pour que le rituel qui te manque
Ressemble à un pardon
De t’avoir abandonné
De quoi as-tu besoin là où tu vas ?
De signes ralentis par l’envie de te garder
De plus de temps
Tu ne fus pas un clin d’œil
Mais une symphonie
Quand tu pars, tout de toi se pare
D’une pellicule dorée
Je mets du temps pour toi
Pour nous aussi
La valise n’a pas de fond
Ensemble, soyons
Ni tout à fait les mêmes
Ni tout à fait des autres
Comment se tenir là pour te dire au revoir ?
Comment apprivoiser
avec mes décoctions de larmes
le fauve du chagrin ?
On me dit d’échanger
ici et maintenant
le sourire au bord de tes paupières
pour un masque de cendres
de vivre désormais tout bonnement
– sous prétexte que tu n’es plus là –
comme si tu n’étais plus là
Quelle ironie d’avoir à te faire mes adieux
à toi qui détestais cela par-dessus tout !
Toi, tu aimais les jours, la joie et leurs couleurs
Tu nous en laisses à contrecoeur
le précieux héritage éphémère
Et si je me tiens là pour te dire au revoir
debout dans le silence
c’est pour te dire en face
ce que nous savons tous
que ce n’est pas la mort qui t’a pris mais la vie.
au fond, un nuage retourne nos os, à convoquer silences, lueur sèche de la bouche, quelque nuit lacrymale, dirait-on, que nos façades mettront du temps à enfouir, comme si plus haut volait la rouille qu’une blessure avouée
le vide ronge nos élans, graffiti en mal de béton, nous voici pauvres d’enfance, boutique fermée on grimpe l’arbre à paix, tandis que l’onde achève nos feuilles, limite prise de secousses
et l’oiseau, pour musique infini bégaiement au bec
et l’oiseau vole bas, pour gosier cargaison d’ombres
et l’oiseau vient à voler bien trop bas, ailes nouées de poussière
Nous le connaissons dans nos morts
Cognés recognés d’inclémence
Le temps s’absente sans remords
Le temps sèche cœur et semence
Jusqu’à souffrir et n’être plus
Le temps ne laisse aucune chance
Toujours doit s’arrêter le flux
Toujours se répand l’ignorance
Nous ne les garderons pas saufs
Nous ne vaincrons pas l’évidence
Nous n’y échapperons pas sauf
Contre le temps hideuse danse
Que nous savons toujours aimer
Ceux partis qui nous ont aimés
Ça y est. T’es parti.
Tu t’es décidé.
T’as déménagé, ça y est.
T’es parti
habiter chez les autres.
Je suis de tes ports d’attache.
Merci, de m’avoir choisi, moi aussi.
Tu es venu,
aujourd’hui,
t’installer, bien t’installer,
dans moi,
pour des voyages étranges.
T’avais des valises. Des tas de valises, toutes petites, toutes petites. Des valises minuscules. Y en avait beaucoup. Tu les as ouvertes, de temps en temps, plus tard…
Dans la chambre, sous mon crâne, où tu les avais posées, tu en as sorti ce souvenir où nous avions ri du temps aveugle qui court et ne se cogne jamais nulle part. Cet autre souvenir où l’objet le plus incontournable, le plus impossible à sortir de notre champ de vision, avait tout-à-coup disparu sans laisser de trace. Et un autre. Et un autre. Et ces souvenirs ont libéré des petits cocktails de fluides moteurs, tout petits. Et ces tout petits cocktails de fluides moteurs – minuscules, minuscules – ont poussé un geste depuis le dedans de moi. Un regard, une pensée, une émotion, une sensation. Ci et là, des éclosions de petites fêtes. Et je me mettais à faire avec toi.
Je parle au passé parce que je sais que c’est ça que tu feras et que, après, je me le raconterai, encore et encore. Je sais que c’est ça que tu feras… Ne sais ni précisément quoi ni quand. Te voilà maintenant transformé en alchimiste, complice ou farceur, et, demain, tu nous prendras par surprise. C’est sans doute, sans aucun doute. Tu vas
me bouter l’impulsion,
me porter à…
sortir d’une habitude, en prendre une,
prendre une décision, ou attendre le profit du moment propice.
Regarder autrement, partir ailleurs.
Quitter l’autoroute. Prendre la venelle hirsute, ou le tapis rouge.
Epingler ce détail, et un autre et un autre,
tenter quelque chose, oublier d’avoir peur.
Ou être prudent, parfois, un petit peu.
Je ne sais pas bien comment tu vas faire tout ça, vers qui, vers quoi tu vas me lancer.
Faire jaillir en moi une orchidée, une rose, ou le gratte-cul. Une colère au jasmin, une joie béate au caramel. Tu vas me berdiger le vlouge ou m’engrisoter l’emblure. On verra bien.
Avec toi dedans de nous, on imagine déjà
un autre étage,
une autre face,
une couleur nouvelle, un son bizarre,
à l’intérieur de nous
où, aujourd’hui,
t’as déménagé tes tics et tes frasques.
Tu es maintenant dans ma voix,
dans mes yeux, dans mes mains,
dans mes bras.
Dans mes bras.
Que reste-t-il
de la raie du soleil
dans les branches ?
une couvée de lumière
l’inflexion d’une main
le détail d’un visage
quelques traits
dessinés sur le ciel
ce qu’on ne peut retenir
de la vie.
Je n’étais pas là
L’enveloppante
chaleur de leur présence
me fut enlevée
Je suis sans eux
et j’ignore s’ils savent ce
que je ressens
Cet abîme
ce trou sans rien dedans
ce quelque chose d’eux
sans réponse
Ils sont partis
sans rien dire de ce qu’on
était occupé
à se confier dans la fièvre
du murmure
Je n’étais pas là
Des lunettes de
pluie
m’aveuglaient
Je m’occupais
des mouches
de mon âme
contre le verre
Ils sont partis
seuls
pour se fondre
au bruit
du silence qui
entoure les
grandes choses